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genre&féminismes

Manon, pionnière de la performance

Le Centre de la photographie présente la première exposition institutionnelle de l’œuvre de l’artiste Manon en Suisse romande. Née en 1946 à Berne, cette pionnière de l’art de la performance, lauréate en 2008 du prestigieux Prix Meret Oppenheim, fait partie de l’avant-garde européenne de l’art féministe. L’une des figures les plus marquantes de l’art suisse des quarante dernières années, Manon figurera également au programme de l’événement PerformanceProcess du Centre culturel suisse de Paris du 18 septembre au 13 décembre 2015.

Sa production artistique polymorphe inclut des environnements, des sculptures, des performances, des installations - le tout articulé autour de la photographie qui occupe une place centrale dans sa démarche. Profondément marquée par une conscience féministe, Manon, contrairement à ses contemporaines des années 70, ne vise ni la provocation, ni le militantisme. Son travail se situe plutôt dans une sphère fantasmagorique où luxure et jeux de rôles se mêlent en un monde onirique, parfois même cauchemardesque. Sa vie est son art et son art est sa vie : «Je ne voulais pas faire de l’art, je voulais être ma propre œuvre d’art!». Une quête de beauté imprègne profondément son œuvre, portée par la conscience que cet objet de désir ne peut tendre que vers la ruine.

C’est en 1974 que Manon entre de manière fracassante dans la scène artistique de Zurich en exhibant littéralement son «univers» dans la pièce Boudoir à la couleur saumon, à la Galerie Lily Tobler. Elle règne à cette époque telle une fleur vénéneuse dans les bars de la scène zurichoise où se croisent, entre autres, Dieter Meier, Ursula Hodel, David Weiss ou encore Urs Lüthi. L’univers mystérieux qu’elle constitue se nourrit notamment d’influences cinématographiques allant de Marcel Ophüls (Lola Montes) à Josef von Sternberg (Lady from Shanghaï), en passant par les mélodrames de Douglas Sirk, Werner Rainer Fassbinder et de son ami Daniel Schmid.

À partir de 1978, Manon se consacre exclusivement au travail photographique en se mettant elle-même en scène devant la caméra. Comme dans ses performances, elle utilise son corps comme support et le décline en des prises de vues dont elle contrôle tous les aspects, du cadrage à la lumière en passant par le maquillage et les costumes. Ce corps reste encore à ce jour à la base de son travail, abordant désormais avec une ironie douce-amère les thèmes de l’âge, de la perte du pouvoir de séduction et de la santé.

L’exposition au CPG regroupera des œuvres majeures de l’artiste ainsi que plusieurs pièces inédites et produites spécialement pour l’occasion. Elle explorera les différentes représentations de l’espace personnel de l’artiste, autant intérieur qu’extérieur, tout en investissant et remodelant l’espace d’exposition lui-même. Le public découvrira un aspect inattendu de l’œuvre de l’artiste qui peut être considéré comme une sorte de démontage de l’image érotico-glamoureuse que nous connaissons d’elle. Cette approche innovante de l’œuvre de Manon couvrira ainsi un large panorama, de ses débuts dans les années 70, jusqu’à ses créations les plus récentes.

Manon sera présente au vernissage du Centre de la photographie, le jeudi 17 septembre.
Exposition au Centre de la photographie, Genève
Du 18 septembre au 29 novembre 2015 / Vernissage jeudi 17 septembre dès 18h
Plus d’infos : http://www.centrephotogeneve.ch/index.php

Photo © Manon, Selbstportrait in Gold, 2011, courtesy Manon

Dans la mémoire collective féminine valaisanne

Pour lutter contre les inégalités, les chemins de traverse réservent des surprises même avec de jeunes étudiant·e·s. Comme lors de l’organisation de cette exposition sur les femmes en Valais. Cet article fait partie du Dossier 2015 de REISO intitulé (In)égalités de genre.

Au mois de mars 2014, un petit groupe de femmes, réunissant des historiennes, des sociologues, des politiciennes, des retraitées et des jeunes femmes actives fait, avec amertume, le constat d’une forme d’oubli des femmes dans les projets célébrant la commémoration de l’entrée du Valais dans la Confédération Helvétique (200 ans). Elles constituent l’association Via Mulieris [1] à la suite de discussions animées qu’elles ont eues avec certaines femmes du groupe de sélection des projets où les habituels arguments ont été avancés : «De fait, il n’y avait quasiment pas de projets proposés par les femmes». «Ils étaient de qualité médiocre». Et la sempiternelle question : «Que voulez-vous que l’on fasse si les femmes ne se mobilisent pas ?» Tant les arguments que la question attestent d’une méconnaissance totale des mécanismes de reproduction de la domination masculine que sont l’auto-exclusion et la crainte. Ce qui, soit dit en passant, devrait être connu des organes de décisions.

Lors de cette réunion, quelques enseignantes de la Haute Ecole de Travail Social Valais/Wallis proposent de créer une exposition grand public, bilingue, itinérante et interactive avec la collaboration de dix-huit étudiantes et de deux étudiants venant de toute la Suisse dans le cadre d’un module d’approfondissement sur la corporéité. La réalisation de ce projet a été un défi conséquent, notamment à cause des contraintes matérielles et de l’absence de moyens, tous les organismes potentiellement financeurs ayant été largement sollicités dans le cadre des manifestations officielles ! Au final, le Secrétariat à l’égalité et à la famille du Canton du Valais et une association féministe, Solidarité Femmes, leur allouent une somme rondelette, couvrant les frais d’impression.

L’étiquette «féministe» en Valais ou ailleurs
Se lancer dans un événement promouvant l’égalité requiert de l’audace. C’est prendre le risque de s’afficher comme féministe. Dans le contexte actuel, c’est assurément le début d’un processus émancipatoire. Au final, six thématiques choisies par les étudiant·e·s interrogent le travail de production et de reproduction des femmes ainsi que leur place dans l’espace public au travers du sport et de la fanfare. Le réseau médiatique est sollicité et le gratin politique au complet est invité au vernissage de l’exposition : «Des voix et des femmes… Stimmen der Frauen», le 13 janvier 2015 [2]. L’événement est animé par une performance théâtrale offerte par des collègues de la HES-SO Valais faisant partie de la troupe Silex et il est dynamisé par la visite surprise de l’unique conseillère d’Etat valaisanne, Esther Waeber Kalbermatten !
La participation des étudiant·e·s à ce type d’action se heurte à des injonctions contradictoires : une relative liberté opposée aux exigences du mandant et de l’école. Monter une exposition demande de l’autonomie et de la créativité. Faire un dessin original, sélectionner des photos d’époque et en créer les cadres. Mettre en pratique des capacités de réseautage (contacter un ami dessinateur pour obtenir des caricatures par exemple). Comme l’exposition est destinée à faire connaître une jeune association sous l’égide d’une Haute Ecole, elle ne peut se résumer à un bricolage trop grossier et doit être scientifiquement pertinente.

Des conditions stressantes pour les étudiant·e·s
Une petite part des étudiantes ont été déstabilisées par le timing serré, les moyens aléatoires et les doutes inhérents à ce type de projet. Un vent de panique a soufflé durant la réalisation du travail. Certaines ont requestionné l’organisation et mis en cause leur propre légitimité à produire une «véritable» exposition. D’autres se sont plaintes de l’ampleur de la tâche ou encore ont changé de thématique sans en informer, à temps, l’équipe encadrante. Lors du montage de l’exposition, la tension était palpable et les quelques mécontentes ont communiqué leur angoisse aux autres. Les personnes les plus déstabilisées ont été celles qui s’inscrivent dans des trajectoires de «bonnes élèves sur-adaptées». Elles sont attentives au travail bien fait, mais chronophage, et se font du «souci». Anxieuses, elles assument plus difficilement ce qui pourrait être un échec. Vouloir faire les choses «comme il faut» les fait hésiter à s’engager, à prendre le leadership (Morley et al., 2010) si elles n’ont pas tous les éléments en main.

On retrouve là des caractéristiques qui ont été mises en évidence dans nombre d’études portant sur l’école ou sur la production scientifique. A l’inverse, les étudiants ont traité le travail avec plus de détachement, se reposant un peu sur le travail de leurs collègues, se laissant des marges de manœuvre dans ce qui leur était demandé ou s’accordant certaines libertés. A l’instar de ce que les enseignant·e·s peuvent expérimenter au quotidien, les étudiants ont fait preuve d’un «engagement moins tangible» (Roy, Bouchard et Turcotte, 2012 : 57). Il est piquant de retrouver un rapport genré au savoir dans un projet visant à sensibiliser aux questions de genre !

La prise de parole des femmes
L’exposition est une réussite, appréciée du public. Elle a eu une bonne presse. Un ethnologue renommé s’y est même arrêté dans un article de la presse régionale [3]. Elle voyage dans les principales villes du Valais et se trouve dans la capitale au moment des célébrations officielles du bicentenaire. Une galerie bien connue de la place tient ses portes ouvertes durant la période estivale tout exprès pour accueillir l’événement.

Les déplacements prévus aux mois d’octobre et novembre 2015, dans les médiathèques francophones et germanophones, permettront d’intensifier les liens unissant les deux parties linguistiques du Valais et de diffuser du savoir sur les femmes. Des historiennes et des sociologues se sont d’ores et déjà engagées à assurer une conférence. Symboliquement, cette exposition a permis de donner la parole aux femmes d’aujourd’hui tout en faisant un travail de mémoire par la perspective socio-historique choisie. Par le fait qu’elle soit accessible à tous et toutes, elle remplit un des rôles d’une école de travail social : à savoir faire naître le débat sur l’égalité au quotidien et alimenter les questions de genre dans l’espace public. En ce sens, elle contribue à réduire les inégalités entre les sexes.

Cela étant, le projet a souffert des tensions habituelles qui traversent la défense de ce qui est vu comme cause minoritaire oscillant entre politisation et dépolitisation.

La politisation, que l’on peut définir comme l’entrée d’une thématique dans le champ politique et l’espace public, se lit dans la sensibilisation des étudiant·e·s sur la place des femmes dans la société, et dans leur familiarisation avec la perspective des rapports sociaux de sexe. Chausser des lunettes genre est en effet primordial pour le travail social d’une part, parce que la population féminine, à divers titres, court plus de risques d’être cliente des services sociaux. Ces lunettes sont importantes d’autre part, parce que les jeunes femmes qui se forment en travail social représentent environ 75 % des effectifs mais pâtissent de la division sexuelle du travail puisque très peu d’entre elles deviennent cadre. L’exercice a permis la mise au jour des modèles d’identification et fait partie, à l’évidence, d’une démarche de conscientisation.

Les espaces de mobilisation des femmes
Afin de mener à bien ce projet, des mobilisations plurielles ont été nécessaires (réseaux personnels et professionnels, associations féministes et féminines, pôle académique, féminisme institutionnel). C’est sans conteste une façon de construire «un espace de la cause des femmes» (Bereni, 2009 :302). Mobilisations utiles car, sans elles, à la lumière de l’année écoulée, les manifestations du bicentenaire auraient consacré la disparition ou du moins l’invisibilité des femmes de l’espace public valaisan.

La dépolitisation, la sortie de l’espace public, tient principalement au fait de la temporalité particulière du module et des conditions spécifiques liées à la participation d’étudiant·e·s. En effet, les modalités incertaines de la réalisation du travail, la fin du module et, donc, le dispersement des étudiant·e·s ne permettent pas d’affirmer que chacun·e, en tant que professionnel·le, s’engagera dans la lutte contre les inégalités entre femmes et hommes ou dans le transfert de la part subversive des questions de genre dans ses pratiques.

La question de la dépolitisation se pose également en termes de formation. Sachant que les étudiant·e·s seront confronté·e·s dans le travail social à une forme de prise de risque, à l’urgence et à la nécessité de faire preuve d’une bonne dose d’adaptabilité, la difficulté qu’elles et ils ont éprouvé à composer avec l’incertitude, soulève des questions. En tant qu’enseignant·e·s, ne sommes-nous pas trop prudent·e·s quant à la liberté que nous leur octroyons ? Dans quelle mesure, la formation que nous proposons parvient-elle à dépasser les inégalités entre les sexes produites durant la scolarité ? Quelle place donnons-nous dans le cursus à l’émergence d’alternatives émancipatoires d’un point de vue du genre afin de rendre les jeunes femmes que nous formons moins timorées ?

La mise en œuvre d’une utopie citoyenne
Nonobstant les limites présentées ici, ce projet peut être considéré comme la mise en œuvre d’une utopie, celle qui consiste à «proposer un imaginaire alternatif inventant des souhaitables qui servent de moteur» (Hansotte 2008 :10). D’une manière générale cette initiative a permis de cultiver des «intelligences citoyennes». A savoir: «… les modalités créatives par lesquelles un groupe "se paie le luxe d’interroger", y compris joyeusement, les rôles sociaux» et les différents rapports sociaux, «pour les détricoter, débusquer ce que ces différents rapports ont d’arbitraire et d’injuste» (Hansotte, 2008 : 10).
Si ce qui est mis en scène n’est pas fondamentalement nouveau, le fait que l’exposition existe s’apparente à un acte de résistance. Les couleurs choisies, celles de la grève des femmes de 1991, fuchsia et violet, l’exclusivité de la parole donnée aux femmes, les thèmes relativement féminins et le fait qu’elle ait été une des premières manifestations commémoratives représentent un pied de nez sympathique à l’establishment masculin et andro-centré du Valais. La présence de l’exposition au cœur des festivités du bicentenaire, alors même que les femmes, en tant que catégorie sociale, n’y avaient pas été officiellement conviées, témoigne de la puissance de l’impertinence culturelle (Hansotte, 2008).

Cette exposition souligne l’importance des «artifices d’égalité» qui cherchent à créer des conditions pour que la participation soit possible (Carrel, 2007) comme outils du travail social. Le fait que, durant les célébrations, on parlera des femmes grâce à la ténacité de quelques-unes atteste aussi du potentiel de transformations sociales qu’une Haute Ecole peut accompagner. Faire jouer les structures d’opportunités en partenariat avec des acteurs de la société civile appartient à ce que je pourrais appeler un féminisme pragmatique. Il «tente l’inclusion plutôt que la théorisation», il «affirme d’emblée ses possibles limites» (Sauzon, 2012 :5). C’est sans conteste une façon de construire l’égalité réelle (Modak et Martin, 2015).



Bibliographie
CARREL, Marion. Pauvreté, citoyenneté et participation. Quatre positions dans le débat sur la «participation des habitants». In Neveu, Catherine (Ed). Cultures et pratiques participatives. Perspectives comparatives. Paris : L’Harmattan, 2007.
HANSOTTE, Majo. Paroles partagées et intelligences citoyennes. Colloque Paroles Partagées, Lyon : 2008.
SAUZON, Virginie. «La déviance en réseau : Grisélidis Réal, Virginie Despentes et le féminisme pragmatique», TRANS- [En ligne], 13 | 2012, mis en ligne le 24 juin 2012, consulté le 07 juin 2015. →Lien
BERENI, Laure. Quand la mise à l’agenda ravive les mobilisations féministes. L’espace de la cause des femmes et la parité politique (1997-2000). Revue française de science politique, vol 59, 2009/2.
MARTIN Hélène et Marianne MODAK. →De la banalité des inégalités, Revue REISO, 19 janvier 2015.
MORLEY Chantal et al. Etude de l’apprentissage du leadership dans le travail de groupe : quelle place pour le genre ? Perspectives féministes en éducation. Nouvelles Questions Féministes, vol 29, n°2, 2010. Lausanne : Antipodes
ROY Jacques, Josée BOUCHARD et Marie-Anne TURCOTTE. La construction identitaire des garçons et la réussite au cégep. Service social, vol. 58, n° 1, 2012, p. 55-67.



[1] Voir les sites internet →Via Mulieris.ch ainsi que →Patrimoine Hérémence et →Silex.
[2] Voir cette page de présentation sur REISO
[3] Bernard Crettaz, dans le magazine Culture, supplément du Nouvelliste, mai 2015

Quand on est une femme seule réfugiée

Quand on est une femme seule réfugiée, la vie ne va pas de soi. Sur les quatre millions de personnes qui fuient la guerre en Syrie, des femmes seules luttent pour leur survie et celle de leurs enfants. Si une partie d’entre elles parvient en Europe, la plupart croupissent dans les camps de Jordanie, d’Irak ou du Liban avec pour unique horizon, la violence.

Si les organisations humanitaires ont actuellement bien d’autres soucis que d’établir des statistiques sur ces femmes, un rapport du Haut Commissariat aux Réfugiés, intitulé Femme seule avait été publié l’année dernière motivant quelques reporters à aller dans ces camps, à la rencontre de ces Syriennes. Basé sur les témoignages personnels de 135 de ces femmes, recueillis au cours de trois mois d’entretiens début 2014, le rapport du HCR établissait à l’époque que 145'000 familles étaient dirigées par des femmes, contraintes d’assumer seules la responsabilité de leur foyer après que leur mari a été tué, enlevé ou séparé pour une raison ou une autre. Et face au cruel manque d’argent, elles doivent se battre sans cesse pour leur loyer, pour la nourriture, pour les médicaments.

En 2015, la situation de ces femmes ne s’est guère améliorée et le nombre de réfugiées n’a fait qu’augmenter. Après avoir épuisé leurs économies et vendu leur alliance, elles doivent compter sur l’aide extérieure, aléatoire et souvent dérisoire. Mais selon l’ONG Jordanian Women Union, c’est leur isolement-même qui rend l’accès aux aides compliqué : «Alors qu’elles ont encore plus besoin de soutien que les autres, beaucoup de femmes seules ne peuvent pas se rendre dans les centres sociaux et auprès des ONG car elles ne peuvent pas laisser seuls leurs enfants et les transports coûtent trop cher». Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés António Guterres explique que «pour des centaines de milliers de femmes, fuir leur patrie en ruine n’a été que la première étape d’un parcours semé d’embûches». Après avoir échappé à la guerre, elles sont confrontées à d’autres formes de violence tout aussi traumatisantes comme le raconte Nuha, arrivée au Caire avec son mari où peu de temps après, il a été assassiné : «Je ne veux pas quitter mon domicile à cause de la tristesse que j’ai dans mon cœur», dit-elle. «Nous avons fui la mort en Syrie pour la retrouver ici en Egypte». De nombreuses femmes se sont plaintes d’être harcelées verbalement – par des chauffeurs de taxi, des conducteurs de bus, des propriétaires, des prestataires de services, et par des hommes dans les magasins, sur le marché, dans les transports publics et même lors des distributions d’aide. «Une femme seule en Egypte est une proie pour tous les hommes», explique Diala, qui vit à Alexandrie. Même histoire en Jordanie selon Zahwa qui dit avoir été harcelée par des réfugiés en allant chercher des coupons alimentaires : «Je vivais dans la dignité, mais maintenant personne ne me respecte parce que je ne suis pas avec un homme».

Beaucoup refusent de s’exprimer sur les violences sexuelles qu’elles subissent. Au camp de Zaatari en Jordanie, où s’entassent désormais 200'000 personnes, le quotidien de ces femmes réfugiées respecte scrupuleusement la loi du silence. A l'intérieur du camp, pourtant, la sécurité des femmes n'est pas assurée, au point qu'Amnesty International avait lancé une campagne dès 2013 sur ce sujet précis en demandant aux autorités jordaniennes d'agir afin que les réfugiées puissent accéder en toute sécurité aux espaces publics du camp y compris aux toilettes, en empêchant notamment le vandalisme sur les éclairages. Toutefois, le lieu de ces agressions ne se limite pas au camp, comme l'ont constaté deux journalistes français Bruno Pieretti et Emmanuel Raspiengeas qui ont poussé leur investigation un peu plus à l’ouest jusqu’à Al Mafraq, ville-bordel de la région. Dans leur excellent reportage, publié dans Rue89, ils décrivent l’exploitation, la prostitution, le tourisme marital et le fantasme de la femme syrienne blonde aux yeux bleus. Ils racontent que «dans les rues défilent Saoudiens, Qataris, Yéménites et Jordaniens riches venus de villes plus au Sud» et qu’«aux portes du désert, plus aucun fantasme n’est trop dur, ni aucun goût trop bizarre. Il suffit de se marier, puis d’abandonner. Tout le panel des obsédés sexuels se retrouve dans les sables entre Mafrak et Zaatari».

Najwa, une des rares à en parler ouvertement, a témoigné au HCR de sa propre expérience : «Dans notre société, une femme qui vit seule n’est pas respectée. Une femme doit toujours être entourée d’un mari ou de parents. Les gens pensent donc que si je vis seule, c’est parce que je suis une sorte de prostituée. A chaque fois que quelqu’un me propose de l’aide, il me demande ensuite des services sexuels en échange». Aujourd’hui, au sein du HCR, Najwa accompagne les réfugiées qui ont subi les mêmes violences.

Si la majorité des femmes sont désemparées au regard du nouveau rôle qu’elles doivent tenir au sein de la famille, d’autres en revanche, loin de leurs maris et de la structure familiale traditionnelle, y trouvent l’occasion de s’émanciper et sont assez fières de vivre sans le soutien d’un homme. C’est le cas de Suraya qui cuisine dans la cafétéria du camp de Zaatari. Pour elle, c’est clair : «Quand je rentrerai en Syrie, il faudra que je travaille. Je n’imagine pas revenir un jour à mon ancienne vie de femme au foyer». D’autres encore, plus téméraires, tentent le voyage jusqu’en Europe. Dina qui vient d’arriver en Allemagne, seule avec ses deux enfants, savoure son exploit et sa nouvelle liberté. L’avenir enfin ?

Photo © Oxfam, Une femme avec ses enfants au camp de Zaatari.

 


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