updated 6:51 PM CEST, Jun 27, 2017

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"Je ne voyais que des peaux pâles"

Notre épiderme protège notre corps, mais il raconte également notre histoire, notre âge, notre identité. De couleur et de grain différents chez chacun-e d'entre nous, la peau est aussi la première surface où s’exercent des discriminations à l’intersection du racisme, du sexisme et du capitalisme. Un sujet d'Axelle magazine.


Matonge, quartier de Bruxelles qui concentre la population congolaise. Les boubous colorés des femmes, les effluves de poulet et le bruit des klaxons produisent un cocktail singulier. Matonge, c’est aussi des salons de coiffure et de beauté où les femmes aiment se faire bichonner en échangeant des confidences. Mais quand il s'agit de parler du blanchiment de la peau, appelé aussi dépigmentation volontaire, c'est le silence. Pourtant, cette pratique, qui consiste à s'éclaircir le teint, est courante.

En 2009, une enquête réalisée dans le quartier par le SPF Santé publique et l'association Ethnic Cosmethic, qui vise à sensibiliser aux dangers du blanchiment, constatait que sur 103 personnes interrogées parmi les habitants de Matonge, une soixantaine, majoritairement des femmes, y avaient recours. Avec des conséquences graves sur la santé : les crèmes blanchissantes contiennent des produits chimiques très puissants, notamment des corticoïdes, de l'hydroquinone ou du mercure, responsables de taches, de brûlures ou de vergetures sur la peau, et même de tumeurs et de cancers, de diabète ou d'hypertension. La peau est un organe qui a une fonction vitale, et si cette barrière de protection est abîmée, c'est tout notre corps qui peut en pâtir. "En Belgique, les produits blanchissants sont interdits", explique Didier Etile, cosmétologue et administrateur d'Ethnic Cosmethic. Et pourtant, "on peut les trouver très facilement, les contrôles ne sont pas assez réguliers." L'enjeu n'est-il pas suffisamment important ?

 
Blanchir c’est réussir

Le plus souvent, les femmes sont incitées par la pression sociale à utiliser ces crèmes pour "enlever des taches" qu'elles auraient sur la peau. "Les femmes, en tout cas dans la communauté noire, ne disent jamais ouvertement qu'elles utilisent des produits blanchissants", nous confie l’une d’elles. Le sujet est sensible car il soulève une histoire douloureuse, celle de l’esclavagisme et de la colonisation occidentale. "L’anthropologie a longtemps fondé la beauté sur la race en établissant une classification universelle. Première marque corporelle à retenir l’attention, la couleur a été utilisée pour classer l’espèce humaine en fonction de races distinctes censées être aisément reconnaissables : le "noir" était primitif, le "jaune" et le "brun" arriérés, et le "blanc", civilisé. Pour des raisons culturelles et sociales, de nombreuses sociétés considèrent la peau foncée comme un signe négatif", explique l’anthropobiologiste Gilles Boëtsch, auteur de plusieurs ouvrages sur le corps. Cette classification était de vigueur durant l’époque coloniale. Pour "réussir", la stratégie était de ressembler aux dominants, jusqu'à tenter de changer sa couleur de peau. "Cette idée persiste, s’indigne Didier Etile, "on se moque encore aujourd'hui de quelqu'un qui est trop "foncé" ! Dans l'imaginaire collectif, les femmes noires modernes devraient avoir les cheveux lisses et une peau claire..."

La problématique n'est pas spécifique aux femmes africaines ou d'origine africaine. On l'observe également en Amérique du Sud ainsi qu’en Inde, où les héros de Bollywood à la peau claire sont considérés comme supérieurs. Aux États-Unis, le débat, fruit d'une longue histoire d'esclavagisme, est particulièrement fort. La discrimination sur la couleur de peau – spécifiquement envers les peaux noires foncées – porte même un nom : le "colourism", un terme créé au début des années 80 par l'écrivaine et militante féministe Alice Walker.

 
Hâlée à tout prix

Non loin de Matonge, la chic avenue de la Toison d'or est bordée de boutiques. Les devantures affichent des images de femmes minces et hâlées, chapeau de paille sur la tête. Impossible de ne pas se sentir prise au piège : pour l'été, il faut des jambes dorées et un visage abricot. Pourtant, jusqu’au 19e siècle, la peau blanche était un symbole de réussite sociale, comme l’explique Bernard Andrieu, philosophe du corps. Le teint de porcelaine est alors l’apanage des femmes aisées tandis qu’une peau burinée par le soleil caractérise les paysannes.

Dans les années 60, "le look bronzé devient une obligation sociale pour être intégré sans se faire remarquer tant le marketing solaire définit le bronzage comme une hygiène de l’activité corporelle". Une peau hâlée révélerait ainsi la réussite sociale, les loisirs et les vacances tandis que la blancheur renverrait à "la mauvaise santé, l’enfermement et la dépression". Pas étonnant donc que certains n'hésitent pas à s'exposer des heures au soleil (naturel ou artificiel), faisant fi des conseils de prévention sur le danger des ultraviolets : l'exposition aux rayons du soleil ou aux radiations des cabines de bronzage est la principale cause de cancer de la peau chez les femmes à peau "claire". 

Par ailleurs, le bronzage est aussi au cur d’une rhétorique raciste. La peau "bronzée" "érotise le désir par son exotisme et par sa chaleur colorée", écrit Bernard Andrieu ; quant à la peau "noire", elle évoque la mythologie raciste de la femme ou de l’homme noir "dont la sexualité serait ensauvagée et coloniale". En réalité, "personne ne veut devenir noir, seulement noir de soleil, comme si le racisme maintenait la peau blanche dans une métamorphose colorée indéfinie." Bronzer, c’est bien vu, mais il ne donc faut pas l’être trop, sinon la peau risque de se confondre avec celle de l’immigré-e, qualifié-e, dans les discours racistes, de "bronzé-e".

 
Le business de la peau

Outre ces racines historiques et sociales profondes, le blanchiment est aussi directement ou indirectement encouragé par l'industrie cosmétique. Car, lorsque la "valeur" des femmes est mesurée à l'aune de leur apparence physique, les tubes de crème rapportent beaucoup d'argent Et la peau est en première ligne. "La publicité, en mettant toujours en avant des peaux claires, place les consommateurs sous pression", explique Didier Etile. Et les consommatrices en particulier. "L'industrie de la beauté, et son concept de "beauté universelle", a encouragé les peaux claires... Si bien que même les égéries "non-blanches" sont souvent des femmes métisses comme Beyoncé ou Rihanna, qui peuvent être identifiées tant du côté noir que blanc."

Heureusement, des femmes décident d’aller à l’encontre de ces définitions étriquées et occidentalisées de la beauté. En témoigne notamment cette récente déclaration de l’actrice mexicano-kenyane Lupita Nyong’o. Propulsée à Hollywood pour son rôle dans le film Twelve Years a Slave, elle a confié publiquement lors de la septième cérémonie des Femmes Noires d’Hollywood, qui récompense des comédiennes afro-américaines, avoir "prié petite pour avoir une peau claire" tant on se moquait d’elle avec sa peau "couleur de nuit". Aujourd’hui, elle appelle à plus de diversité sur les écrans et dans les magazines : "Je me souviens de l’époque où moi aussi, je ne me sentais pas belle. J’allumais la télévision et je ne voyais que des peaux pâles." Ce discours, parce qu’inédit et engagé, fut relayé et applaudi par de nombreuses associations et médias étasuniens. Et contribue à sortir de l’ombre les femmes "couleur de nuit".

 
Illustration © Julie Joseph
 


A lire

De quelle couleur sont les Blancs ?

À première vue étonnante, cette question qui sert de titre au livre est en réalité profondément provocatrice. Si on attribue une couleur aux "minorités visibles", la couleur blanche serait plutôt une classe sociale qu’une catégorie raciale. En réaction aux manipulations que représente le concept de "racisme anti-Blancs", les contributeurs proposent de multiples analyses et explorations autour d’un système de domination inscrit dans l’histoire et déterminant dans la perpétuation des inégalités.

Sous la direction de Sylvie Laurent et Thierry Leclère, La Découverte 2013.