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Quand les féministes se mettent à nu

Dans toutes les sociétés patriarcales, le corps féminin capable de donner la vie est depuis toujours un point névralgique des rapports sociaux entre hommes et femmes, et par là même, un outil privilégié de l’asservissement de ces dernières. Le vêtement en particulier, qui traduit manifestement cette intention, est ainsi un vecteur favorable au contrôle, l’imposition de la pudeur permettant de limiter moralement, physiquement et sexuellement les femmes.

Il est donc logique que les féministes se réapproprient leur corps, en commençant par le truchement de leur tenue vestimentaire, dans leur lutte pour l’égalité. Dans des systèmes où la liberté de la femme est très restreinte, la nudité peut ainsi devenir le seul moyen d’action et d’expression à disposition des femmes. C’est le point de vue que défend le mouvement féministe ukrainien FEMEN.

L’Ukraine postsoviétique, comme la majorité des pays de l’ancien bloc de l’Est, est encore très marquée par le patriarcat, malgré l’apparente égalité homme-femme prônée pendant 70 ans par le modèle marxiste. Et paradoxalement, c’est dans ce pays où le vent de démocratie a semblé souffler au printemps 2005, qu’a émergé son expression la plus radicale.

En 2008, suite au désenchantement issu de la révolution orange, à l’immobilisme de la classe dirigeante et à une dégradation générale de la condition des femmes en Ukraine, une jeune sociologue, Anna Hutsol, fonde FEMEN, un mouvement féministe radical et provocateur. Leurs premières cibles sont la prostitution et le tourisme sexuel qui prolifèrent en Ukraine depuis 2005, aggravés par la crise économique. Les actions du groupe n’ont pas cessé de se diversifier depuis: défense des droits civiques, de l’environnement, lutte contre les oligarques, contre le harcèlement sexuel dans les universités, etc. Sous cette apparente diversité, les militantes de FEMEN se battent pour deux causes aux nombreuses ramifications sociales : l’amélioration de la condition et de l’image des femmes ukrainiennes, et la démocratisation du pays.

FEMEN s’est réellement fait connaître par sa manière d’attirer l’attention des médias, en mettant en avant les attributs féminins des militantes qui se dénudent lors de leurs manifestations. Des symboles nationaux, couronnes de fleurs et jupes folkloriques, côtoient des slogans politiques inscrits à même leur corps. Ayant constaté que l’image de la femme en Ukraine est extrêmement dégradée, ces féministes ont décidé de prendre le contrepied en surjouant de l’hypersexualisation, en la mettant en scène associée à des messages revendicateurs. On peut également y lire une mise en avant de la vulnérabilité sexuelle des Ukrainiennes et des femmes en général. En reprenant cette vulnérabilité à leur compte, en l’exhibant à leur manière et selon leurs règles, et en la liant toujours à un contenu social, elles en prennent la maîtrise au lieu de la subir. La faiblesse assumée devient ainsi une force, qui permet de plus de se faire voir et entendre.

Elles dénoncent ainsi publiquement une réalité cachée de l’Ukraine, où la promotion canapé est courante et dont les dirigeants utilisent, voire promeuvent, les charmes des jeunes filles pour renflouer l’économie. Elles utilisent leur corps pour mettre à nu l’hypocrisie de leur gouvernement et des hommes de leur pays, retournant l’arme contre l’agresseur.

C’est aussi une manière d’adapter le féminisme au 21e siècle, caractérisé par la société du divertissement et l’exhibition individuelle. Les FEMEN ont bien saisi les enjeux médiatiques d’une lutte sociale. Elles se mettent en scène, créent le spectacle, attirent l’attention, provoquent. Et se font entendre. Leurs mises en scène sont d’ailleurs pleines d’humour et imaginatives. En ce sens, les militantes de FEMEN sont des performeuses du féminisme, comme l’ont été les Riots Grrrls avant elles.

Les FEMEN renvoient aussi une image du féminisme dans lequel les jeunes filles peuvent se retrouver : elles sont jeunes, glamour, courageuses et assurées, et assument un style de féminité caractérisant les stars du cinéma ou de la scène musicale. Elles démontrent qu’un certain type d’apparence souvent dénigré (mais qui fait vendre) peut être associé à l’intelligence et mis au service d’une cause. Elles sont jeunes et belles ? On attend d’elles qu’elles se rendent à l’université en tenues courtes et décolletés sexy ? Au lieu de lutter contre ces données, elles les mettent en scène pour se battre contre l’exploitation des femmes. Constatant le désintérêt des jeunes femmes pour le féminisme, perçu comme féminin, anti-hommes et poussiéreux (ce qui est également le cas en Suisse romande), elles ont choisi cette image avec une conscience aiguë du marketing et du système de médiatisation actuels. Pour ces militantes, tout est utile dans la lutte des femmes pour leurs droits ; selon FEMEN, le féminisme moderne passerait par l’ultra-féminité sexy, celle-là même qui fait vendre.

Toutefois, leur stratégie n’est pas sans risques sur le long terme. Les féministes dites topless obtiennent en effet une couverture médiatique peu commune. Lors de leur passage en Suisse, elles ont obtenu des plages audiovisuelles conséquentes et suscité des débats télévisés très animés.

Mais elles sont également objectifiées, réduites à une partie de leur corps. Est-ce que leur message est réellement entendu ? Quels résultats obtiennent-elles ?

Avec leur tour européen, avec des arrêts très médiatisés chez DSK, le Vatican ou Berlusconi, il est certain que les FEMEN se sont fait remarquer par toutes sortes de tranches de la population en Europe. L’essentiel n’est pas qu’elles fassent l’unanimité, mais que le public perçoive, à divers niveaux, qu’il y a un message, des abus sociaux, une lutte. Les militantes FEMEN ont réussi à attirer l’attention sur les dérives sexuelles en Ukraine. Elles y ont obtenu des résultats, en particulier concernant le chantage, sexuel ou monétaire, dont sont victimes les étudiantes. Leur action a entraîné des sanctions contre certains professeurs, alors que le sujet était jusque-là tabou. Elles ont mis les bâtons dans les roues du tourisme sexuel en Ukraine.

Le questionnement même de leur méthode, s’il est nécessaire, reste troublant. Le groupe dominant demande à ces féministes nouveau genre de justifier leurs actions et leurs méthodes, parce qu’elles osent s’attaquer à une injonction fondamentale du patriarcat, sur laquelle repose l’équilibre actuel du système homme-femme. La même nudité mise au service de la publicité dans les magazines ou sur les affiches, à but lucratif uniquement, n’entraîne pas de telles remises en cause. Là où la nudité est choisie par la femme, et mise au service d’une cause, elle doit être justifiée ; là où elle sert le profit du système en place, elle est acceptée.

Mais FEMEN marque la division du mouvement des femmes au sens large en mettant en avant des dissensions de tout un pan de féministes abolitionnistes. Nombre d’Ukrainiens ne désirent pas être défendus par elles. La suite des opérations est donc cruciale. Devenir un parti politique, s’assagir, s’organiser de manière plus socialement acceptable, ou un peu de folie et d’action radicale est-il actuellement indispensable pour faire progresser la cause féministe ?

Si on peut admirer le courage des jeunes féministes ukrainiennes et comprendre leur posture comme une suite logique de la démarche féministe des premières heures, on peut s’inquiéter de la pérennisation politique de celle-ci. Mais là aussi, leur démarche est réfléchie: les FEMEN ne comptent pas entrer dans un système parlementaire qu’elles estiment corrompu. Elles visent à faire changer les lois de l’extérieur, en devenant un mouvement indépendant assez puissant pour avoir une influence directe et marquée sur le pouvoir en place. On comprend dès lors mieux les raisons de leur tournée internationale.

Il y a là un élan féminin, potentiellement capable de faire changer le système en place, au dynamisme sans conteste. Les FEMEN sont un modèle pour les femmes de tous âges, par le courage et la détermination dont elles font preuve, et pour les plus jeunes, à travers leur fierté d’une féminité belle et assumée. Leur façon de militer n’est pas destinée à inciter des jeunes filles à s’exhiber publiquement ; il s’agit d’une méthode d’action et non d’un modèle. Le modèle se situe au niveau de la perception des femmes et leur image - certaines FEMEN, telle Alexandra Chevshenko, sont maintenant des stars dans leur pays.

Si toutes les féministes ne sont pas prêtes à adopter leur méthode, reste que les FEMEN ont accompli énormément en tout juste trois ans d’existence. On se prend à rêver à une union des femmes, à une solidarité féminine par-delà les frontières. Incontestablement, un mouvement à suivre.

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