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Une pétition pour l'égalité salariale

15-12-2015  - avatar

Force est de constater que le nouveau Conseil fédéral ne montre pas l’exemple en matière de représentation homme/femme et reste en retrait en matière d’égalité salariale. Sa proposition, actuellement en...

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Annick Blavier, une œuvre engagée

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Genre&Féminismes

Une pilule pour doper la libido féminine…

10-12-2015  - avatar

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chronique féminista-voyageuse

Road feminism


Ce jour-là, une semaine exactement après mon arrivée à Kigali, mon reportage sur le thème des femmes entrepreneures débute avec l’interview de Vestine Mukeshimana, 34 ans, pionnière dans le domaine des transports, un secteur largement occupé par la gent masculine. Sylvia Umurungi, une étudiante rencontrée la veille au «Blue Café» m’aide à organiser l’entrevue et m’accompagne sur le lieu du rendez-vous.


Il doit être quatre heures de l’après-midi. Nous arrivons à Nyarugunga, un quartier coincé entre la route nationale 3 et l’aéroport, district de Kicukiro. Là, se tient une station-service faisant également office d’épicerie, d’arrêt de bus et de parking improvisé pour les «taxis-motos» à l’affût de leurs prochains clients. Sous un soleil qui fait lever la poussière et suer l’asphalte, les voitures filent à grands coups de klaxon vers des lieux plus paisibles. L’endroit est fréquenté. Nous pénétrons dans le premier bistrot qui se présente à nous. Quelques clients accoudés au bar suivent attentivement la rediffusion d’un match de football. Ils se passionnent pour leur équipe et sirotent une Mutzig, une bière très populaire ici, produite à Gisenyi, non loin de la frontière congolaise. A l’arrière du bar, s’étend une cour en terre battue. Deux tables isolées et quelques chaises en plastique y sont vaguement disposées. Nous choisissons la table dans le coin, au calme. L’entretien peut maintenant commencer. Une rencontre rythmée par trois. Imaginez le décor : trois filles qui ne se connaissent pas encore, trois langues de conversation - français, anglais et kinyarwanda -, trois Coca et trois heures d’entretien. Sylvia Umurungi pour la traduction, Vestine Mukeshimana pour le rôle principal. Et moi, la chance de recueillir un bout de l’histoire de cette jeune femme.


Vestine connait Kigali comme sa poche. Chaque jour, casque bleu vissé sur la tête, gilet officiel sur le dos, elle avale des dizaines de kilomètres, au centre-ville, dans les quartiers animés de Nyabugogo et de Remera gare. Son service commence à l’aube et finit rarement avant 20 heures, ceci cinq jours sur sept. Vestine exerce le métier de «taxi-moto». Impossible de ne pas les croiser, ces taxis sur deux roues qui sillonnent la capitale d’un bout à l’autre, de jour comme de nuit. Ils ont toujours la priorité sur les autres usagers de la route (!) et vous conduisent n’importe où en ville, pour quelques centaines de francs rwandais (un ou deux francs suisses). Un moyen de transport réputé dangereux - on ne compte plus les accidents impliquant un taxi-moto – mais pratique et rapide. A Kigali, il y aurait entre 10'000 et 15'000 véhicules immatriculés. Au volant, des motocyclistes entre 18 et 35 ans qui gagnent plutôt bien leur vie, grâce à cette activité lucrative. Ah oui, j’allais presque oublier : tous les taxi-motos sont conduits par des garçons… à l’exception de Vestine.


Vestine aime sentir le vent s’engouffrer dans l’encolure de sa veste lorsqu’elle roule à vive allure. Seule aux commandes, elle est maîtresse de ses itinéraires, des passages qu’elle se fraye habilement dans le flot de la circulation et de l’espace de liberté qu’elle conquiert kilomètre après kilomètre dans le grand chaos urbain. Une passion qui remonte à son enfance. Chez elle, il y avait déjà une motocyclette qu’elle apprend à conduire avec son frère, aujourd’hui décédé. Jusqu’en 2008, Vestine travaille à la pompe, dans une station-essence KSS, entretemps rebaptisée Kobil. Tous les jours, la jeune femme voit défiler les taxis-motos du secteur. Lorsqu’ils font une pause, elle leur emprunte le véhicule pendant 30 minutes, parfois une heure et part à la recherche de clients. Le montant du deal ? 300 francs rwandais (40 centimes) et le reste est pour elle. Jusqu’au jour où elle conduit par hasard le «boss» de l’une des compagnies de taxis-motos qui, en découvrant cette conductrice hors pair, lui propose immédiatement de travailler pour lui. Vestine est la seule fille à se présenter sur 3200 candidats. La sélection est implacable, ils ne seront que 200 candidats à réussir l’examen. C’est ainsi que débute son aventure sur deux-roues.


«Mes clients, hommes et femmes, me portent une grande admiration, concède-t-elle. Admiration et étonnement aussi : à chaque nouveau client, c’est la surprise, tant il est rare de voir une fille à moto». Du côté de ses collègues également, elle suscite l’enthousiasme. Quelques-uns, un peu envieux de son succès, craignent même qu’elle leur pique leur clientèle… Car Vestine conduit bien. Elle sait adapter sa vitesse aux conditions de la route et aux souhaits de ses clients. Nombreux sont ceux qui ne veulent être conduits que par elle ! Ces marques positives l’encouragent à continuer, même si l’activité n’est pas toujours facile : trafic incessant, conditions météorologiques parfois difficiles, pollution, horaires continus. Son rêve ? Conduire un taxi-voiture ou un bus public. Elle prépare actuellement son permis de conduire. Une heure d’auto-école lui coûte environ 18'000 francs rwandais (23 francs suisses), c'est cher. Parfois, elle ne prend qu'une demi-heure de cours… Je la questionne ensuite sur son rôle de femme dans un métier masculin. Avec des mots choisis, elle explique qu’elle est consciente d’être une pionnière dans un secteur qui s’est toujours «pensé» au masculin. Sa présence bouleverse un modèle qui allait de soi jusqu’alors mais qui n’est pas immuable, l’exemple positif qu’elle transmet à ses clients, à ses collègues, mais aussi à ses enfants (trois filles et un garçon) le prouve. «Je suis contente de participer à la promotion des femmes de notre pays» dit-elle dans un éclat de rire. Plus sérieuse, elle ajoute : «Je crois que le contexte général est plutôt favorable à l'entrepreneuriat féminin et c'est bien ainsi. Tout le monde a droit à sa chance.»


La nuit tombe sur Kigali. Nous payons nos consommations au bar et accompagnons Vestine jusqu'à sa moto stationnée au bord de la route. Elle parle alors de ses enfants qu’elle éduque selon l’idée que chaque métier est ouvert à tous : «Il ne faut pas avoir peur de se lancer dans une activité qui nous plaît vraiment, peu importe ce que les gens en pensent». La jeune femme m'explique enfin qu’elle n’a pas vraiment eu le choix de s’imposer dans ce monde d’hommes : «J’ai dû trouver une solution pour faire face à des impératifs économiques depuis le décès de mon mari en 2007». Pari réussi. A noter qu'au «Pays des Mille Collines», nombreuses sont les femmes qui sont seules pour éduquer leurs enfants et pour faire vivre leurs familles. L’initiative individuelle est dès lors infiniment respectée. Car le pays, pour avancer, a besoin de personnalités entrepreneuses et porteuses de renouveau, de création et d’espoir. Des modèles neufs qui façonnent, même à petite échelle, le Rwanda de demain.


Lorsque je la remercie de l'entretien, Vestine a déjà enjambé sa motocyclette colorée. Son travail l'attend. Elle me donne encore son numéro de téléphone et me lance : «N’hésite pas à m’appeler lorsque tu as besoin d’un taxi et donne mon numéro à tes amis aussi !»

Photo © Joëlle Rebetez - 2014 / Les routes de Kigali n'ont plus de secrets pour Vestine, conductrice professionnelle de taxi-moto.

 

A l'imprimerie

 

Lorsqu’on séjourne à Kigali pour affaires et qu’on est amené-e à nouer de nombreux contacts, impossible de déambuler sans un laptop sous le bras, un smartphone à portée de main et surtout, sans un paquet de cartes de visite à dégainer dès que l’occasion se présente. "Sans carte de visite, tu ne fais rien" m’avait-on prévenue dès mon arrivée. Et moi d’être équipée d’un ordinateur portable flambant neuf, de deux téléphones, d’un agenda, de plusieurs bloc-notes mais rien qui ne se rapproche d’une business card. Ce constat posé, me voilà scotchée plusieurs heures à l’écran de mon ordinateur afin de créer une identité professionnelle. Puis en route vers l'imprimerie.

"Tu souhaites imprimer? Nous n'avons plus d'encre" me lance un employé, les yeux mi-clos. "Reviens vers 15 heures". Me revoici à l’heure dite, le pied ferme et le ferme espoir de repartir avec mes cartes de visite en poche. Espoir sitôt envolé lorsque j’entends: "Un collègue est parti à l'instant acheter de nouvelles cartouches d'encre, reviens demain". Aie, je n’ai nulle envie de refaire le chemin à pied jusque-là, sous un soleil de plomb, et encore moins pour la troisième fois. Et de surcroît, il me les faut, ces cartes, car un rendez-vous est fixé le lendemain avec une députée de la Chambre basse du Parlement rwandais. Je tente: «C’est urgent, je dois me rendre au Parlement pour discuter avec une politicienne.» Quelques mots fusent en Kinyarwanda avec l’une de ses collègues et le jeune homme saisit ma clef USB.

Pourquoi a-t-il si soudainement changé d’avis? Était-ce le fait d'avoir mentionné la plus haute instance législative du pays ou était-ce plus précisément l’argument politique ET féminin qui a joué en ma faveur? En évoquant ma prochaine rencontre avec une femme de pouvoir, j’avais — sans le vouloir — touché dans le mille. Rappelons ici que la Chambre des députés du Parlement rwandais est composée de 63.8% de femmes (51 députées pour 80 sièges) 1. De plus, la politique de promotion de la femme est l’une des priorités majeures du gouvernement ; le Président communiquant d’ailleurs régulièrement à ce sujet au sein du pays, comme sur la scène internationale. Les Rwandaises n'ont évidemment pas attendu d'être à l'agenda politique pour gagner leur place dans la société rwandaise. Au contraire, elles ont toujours eu leur mot à dire au sein de leurs communautés et de leurs familles. Ce qui est nouveau en revanche, c’est probablement l’image qu’une femme de pouvoir renvoie aux yeux d’un jeune homme. Une image inédite, façonnée par un gouvernement qui a très vite su mesurer les bénéfices à tirer d’une promotion publique et médiatique des femmes. La figure de la femme rwandaise moderne a par conséquent bouleversé la logique patriarcale et traditionnelle qui prévalait jusqu’alors, cela en moins de vingt ans. Avec l’arrivée des femmes dans les sphères publique, politique et associative, de nouveaux rapports sociaux de sexe ont émergés, ouvrant la porte à un monde qui ne se conçoit plus seulement au masculin neutre. Un rapport social de sexe - pour une fois inversé ! - en échange d’une centaine de cartes de visite? Oui, c’est possible!

Et justement, après l’impression des cartes, passons à la découpe. L’imprimeur sort un machin-truc made-in-je-n’sais-où supposé les trancher une à une, à la main ! La volonté de manier cette machine infernale est présente mais l’exercice s’avère bien trop laborieux. Je vois alors l’imprimeur empoigner un massicot qui trône sur de vieux cartons poussiéreux. Cela ira peut-être plus vite, pensai-je. Plus vite en effet, mais plus mal. Je constate que mes cartes sont découpées de travers, sans repère ni alignement. Dans un soupir à peine dissimulé, je lève les yeux et arrête un instant mon regard sur les murs qui soutiennent le plafond. Tiens, eux aussi sont de traviole! Et si ces murs avaient été construits à angle droit, est-ce que mes cartes auraient-elles pu l’être également?

De son côté, l’imprimeur se pose aussi quelques questions à mon propos. Car il s’agit certainement de la première fois qu’il conçoit des cartes de visite aussi tristes que les miennes… En noir et blanc, avec une fleur ridicule sur le coin gauche, quelle idée. Des cartes de visite «tellement suisses», tellement neutres, d’une discrétion qu’un banquier pourrait presque m’envier. Je jette alors un regard sur les quelques modèles exposés sur le comptoir central : les cartes sont toutes colorées, imprimées sur du papier avec reflets mordorés, métallisés brillants ou pailletés. Les plus sophistiquées ont même un relief qui leur prodigue un aspect des plus prestigieux. En comparaison, les miennes, fades et biscornues, font vraiment pâle figure. L’imprimeur, qui n’a perdu aucune de mes réflexions, me les tend et me recommande, sourire aux lèvres d’ajouter "pour la prochaine fois, un peu de bleu ou du jaune".
Oui, sans aucun doute, la prochaine fois, je rajouterai de la couleur !
 
1 Etat au 1 septembre 2014, www.ipu.org
 
Photo DR