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Une pétition pour l'égalité salariale

15-12-2015  - avatar

Force est de constater que le nouveau Conseil fédéral ne montre pas l’exemple en matière de représentation homme/femme et reste en retrait en matière d’égalité salariale. Sa proposition, actuellement en...

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Ailleurs

Annick Blavier, une œuvre engagée

27-06-2017 Hélène Upjohn - avatar Hélène Upjohn

Il y a du mystère dans les collages d’Annick Blavier, les déchirures, les fragments, les situations que l’on ne voit pas en entier, les citations qui ont perdu leur auteur.e..Pourtant...

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Genre&Féminismes

Une pilule pour doper la libido féminine…

10-12-2015  - avatar

Les sociétés pharmaceutiques rivalisent d'ardeur pour mettre sur le marché une pilule qui stimulerait le désir sexuel chez les femmes. Sprout Pharmaceuticals a déjà obtenu le feu vert pour la...

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chronique féminista-voyageuse

La force des auto-stoppeuses

Chère émiliE, mon voyage en Uruguay est fini... De retour par ici et sur ton invitation, je continue le voyage dans les paysages plus familiers de ma vie quotidienne à l'européenne. Bonne lecture ! C.M.

«Vous avez pas peur ?». La question qui tue. Ou plus exactement, la question qui m'épuise...
Les pylônes électriques défilent en rythme sur le bas-côté. Une buse, puis une autre, puis une troisième, nous regardent passer en trombes, perchées sur la barrière qui longe l'autoroute. La campagne est blanche de neige. Je n'ai pas du tout envie de me retrouver coincée sur le bord de la route par ce temps.
 –    Peur ? Non pourquoi ?
 –    Quand même, une petite jeune fille comme vous, faire du stop toute seule...
Voilà, c'est l'éternelle question. Je fais du stop depuis une quinzaine d'année maintenant, été comme hiver, j'ai fait des milliers de kilomètres, je n'ai jamais eu de gros soucis.

Une fois seulement, je suis tombée sur un type qui m'a demandé de lui tailler une pipe. Je lui ai répondu qu'il tombait hors de mes horaires de boulot et, qu'en plus, mes tarifs étaient carrément trop chers pour lui. Il s'est tu et a même fait un détour de trois quarts d'heure pour me déposer à ma destination.

Une autre fois, il y a bien plus longtemps, un type s'était masturbé tout en conduisant, sans rien me demander, à 145 km/h sur l'autoroute. J'étais restée pétrifiée, attendant la prochaine sortie, 25 kilomètres crispée sur mon siège. Sans rien dire ou faire, j'avais demandé à descendre dans un souffle de voix, dès que possible. Il m'avait lâchée sur la bordure pourrie de la voie rapide. J'avais envie de vomir mais ce n'était pas à cause des virages. J'étais écœurée, comme salie. Et surtout tellement en colère d'être restée impuissante, de ne pas avoir hurlé au moment de la descente : «TU NE FAIS PLUS JAMAIS ÇA ! À PERSONNE !». Je m'en suis voulu un bon moment de n'avoir rien fait. Mais la nécessité de voyager était trop forte pour que ces regrets me dégoûtent de l'auto-stop et j'ai donc pris une série d'engagement vis-à-vis de moi-même : 1/ faire du stop toute seule seulement quand je m'en sentais l'énergie et toujours m'autoriser à refuser de monter dans une voiture ou à demander d'en descendre ; 2/ ne plus jamais culpabiliser de ces moments où «je ne le sentais pas» et 3/ dès que possible «éduquer» les automobilistes, pour qu'ils ne fassent plus ce genre de chose, ni à moi, ni aux suivantes...

«Ce n'est pas très prudent de voyager toute seule».
Encore un...
 –    Oh, moi ça va : je voyage assez souvent en stop, ça se passe toujours bien.
 –    Oui mais quand même, avec tout se qui se passe... ça ne vous fait pas peur ?
C'est parti...
 –    Non... Mais vous savez quoi, on me demande souvent ça. Et si on y réfléchit bien... c'est vous qui devriez avoir peur, vous ne pensez pas ?
Silence gêné du conducteur, je poursuis :
 –    Regardez : vous avez vos mains prises par le volant, vous roulez vite, vous tenez à votre voiture...
 –    Et ?
 –    Et j'ai les mains libres, je peux ouvrir la fenêtre et balancer tout le contenu du vide-poche dans le bas-côté, je peux tirer le volant d'un coup et nous envoyer dans le décor...
Il ne sait toujours pas quoi dire. Il avale sa salive et lance des petits regards inquiets sur son vide-poche. Je laisse monter sa peur en souriant calmement, un long moment. Puis je m'explique :
 –    Vous savez pourquoi je vous dis tout ça ? Pour vous montrer ce que ça fait, de jouer avec la peur des autres. Vous voulez un conseil ? Si vous prenez une auto-stoppeuse et que vous craignez qu'elle ait peur de vous, rassurez-la au lieu d'alimenter ses supposées angoisses. Parlez-lui de votre destination, de votre boulot. De vos enfants ou de vos vacances. Demandez-lui si elle a envie de discuter ou si elle préfère se reposer. Donnez-lui des signes que vous n'avez pas d'intentions sexuelles à son égard.»

Car oui, parfois j'ai un peu peur en stop. Et je veux bien voir cette peur comme un signal utile, une alerte qui doit me rendre vigilante. Mais je sais aussi que j'ai appris depuis l'enfance à me percevoir comme la potentielle cible d'agressions sexuelles, comme tous les petits chaperons rouges à qui on répète en boucle de ne pas parler aux inconnus. Je refuse de me faire bouffer par cette peur-là. Je veux apprendre à y faire face, savoir que je peux me défendre. Faire la différence entre ma peur et le danger.
Le type ne comprend toujours pas :
 –    Je suis désolé, il ne faut pas avoir peur de moi... Je disais ça comme ça, pour votre bien.
 –    Écoutez, «l'auto-stoppeuse qui se fait violer», c'est un imaginaire très répandu. Mais ce n'est pas comme ça que ça se passe... La quasi-intégralité des agressions sexuelles sont commises par l'entourage connu des victimes, pas par des inconnus dans des stations-service désertes. Alors je ne veux pas négliger ce risque, mais si je laissais cette peur me paralyser, j'aurais arrêté de voyager bien avant d'avoir l'occasion de me défendre. C'est ça que vous voulez ? Qu'on arrête toutes de faire du stop ? Vous croyez qu'on ne peux pas se défendre ?
 –    Non, non, vous avez l'air très forte...
 –    Alors si vous voulez nous soutenir, ne posez pas de questions qui nous ré-assignent à notre vulnérabilité fantasmée. Acceptez la force des auto-stoppeuses qui font face... et discutons d'autre chose !
 –    Oui mais...
 –    Et si vous continuez, je vais vous faire la liste de toutes les choses affreusement violentes dont je serais capable pour empêcher un type de me faire du mal. Mais honnêtement je préférais ne pas avoir à en arriver-là... Tenez, regardez ! Encore une buse, là, sur la barrière. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi elles aiment se percher le long de l'autoroute, avec ce vent froid...
 –    … Vous aimez le free-jazz ?

Savoirs enfouis

Gabrielle sait faire plein de choses. Elle sait aussi jardiner et se lancer dans le monde à vélo. C'est ma mère. En parcourant les routes de l'Uruguay, nous avons elle et moi cherché les potagers. Nous n'en n'avons pas trouvé beaucoup. Pourtant, nous avons vu défiler les petits terrains en pente douce autour des maisonnettes et des villas. Nous avons vu des pelouses et des bas-côtés tondus à la débroussailleuse, des prairies à perte de vue. Des terres qui nous ont semblé fertiles, sous un climat bienveillant. Mais pas de marchés ni d’étals isolés pour les producteurs locaux. Jusque dans les hameaux reculés et sur le bord des routes de dernière zone, des épiceries avec les mêmes légumes importés. «Vous ne jardinez pas ? – Non. Pas vraiment.»

C'est la fin du voyage, dans la banlieue de Montevideo. Surprise des dernières heures : Andrea et son mari ont la main verte. Lui est passionné de boutures, il y consacre de longues heures, les pots et les bocaux jonchent la petite terrasse ombragée, un mélange de plantes inconnues, de fleurs à peine écloses. Elle, plus pragmatique, plus planificatrice, fait des plans de tomates, de courges et d'herbes aromatiques pour partager avec ses voisines. Nous n'en croyons pas nos yeux : «Elles jardinent aussi ? – Pfff ! Personne ne jardine ici, sauf en temps de crise... c'est à ce moment-là qu'on réalise que les gens savent faire.» Andrea nous explique la crise bancaire de 2002 (rebond de a crise argentine de 2001). D'après elle, personne ne cultive de potager ici, ni dans les campagnes, ni dans le quartier. Ce n'est pas dans les habitudes. «Mais soudain, quand les gens ont vraiment commencé à manquer, tous ceux qui avaient un lopin de terre ont cultivé des légumes. Les techniques étaient là, transmises, acquises, en une seule saison.» L'année suivante, la situation économique s'était un peu stabilisée, beaucoup y avaient perdu, mais ce n'était plus la panique. Alors les jardins ont disparu comme ils étaient venus. «Maintenant, j'essaie de créer une dynamique dans le quartier, d'inviter les gens à continuer les jardins, à échanger les plans, les coups de mains et les petites techniques de chacune. Je trouve ça tellement important pour fortifier la dynamique communautaire ici... entretenir ce goût de l'entraide». Nous regardons de l'autre côté de la haie, une petite baraque vide, entourée d'herbes folles. Elle explique : "Avec la crise, ceux-là ont tout vendu pour partir en Espagne. Ils croyaient bien faire mais là-bas, ils ont pris la crise espagnole de plein fouet. C'était tellement dur en Europe qu'ils ont fini par rentrer... et cette fois, ils n'ont vraiment plus rien. Ils avaient vendu tous leurs biens pour partir, tu comprends.»

Jusqu'à la tombée du jour, Gabrielle et Andrea discutent de l'influence de la lune, du paillage et du broyat contre la sécheresse, des capucines contre la mouche du chou et des œillets entre les plans de tomate. Elles se parlent des légumes qu'elles ne connaissent pas et des savoirs enfouis que leurs vieilles voisines laissent perler goutte après goutte, avec tendresse et prudence à la fois. Je regrette de ne pas avoir pris quelques sachets de graines produites dans mon propre jardin, que j'aurais pu en échanger avec notre hôte.

En parcourant les routes de l'Uruguay, nous avons provoqué l’étonnement : «La mère et la fille ? 35 et 60 ans, toutes seules à vélo ? Deux mois ?». Souvent, l'admiration suscitée m'a un peu gênée... L'impression d'être renvoyée à mon lien supposé avec cette femme, ma mère : un lien viscéral, indiscutable et dense, à l'image de ce voyage fou. Une autre sorte de savoir enfoui, qui nous aurait tenues ensemble... Alors oui c'est sûr, une mère et une fille qui s'entendent bien et voyagent «seules et autonomes», c'est beau... Mais c'est aussi facile quand on a des papiers européens, les moyens financiers et le temps libre de se payer ce luxe. Un voyage «pour le plaisir et la curiosité».

Nous nous arrêtons dans un parc, ce sont nos derniers tours de pédale à Montevideo. Gabrielle me rappelle qu'en 1921, sa grand-mère et la mère de sa grand-mère (mon arrière-arrière-grand-mère et sa fille), toutes deux veuves de la guerre de 14, étaient parties en voyage pour six mois. Elles avaient dépensé l'héritage de leurs époux-soldats, petits notables de campagne, pour faire le tour de la Méditerranée en diligence... «Tu crois qu'elle se sont bien entendues ?». Nous rions un peu : ce n'était pas gagné entre nous non plus, dormir dans la même tente, choisir nos itinéraires, gérer le quotidien. Improviser sous la pluie et en terrain inconnu... Sentiment d'une familiarité : j'ai retrouvé les habitudes de mon enfance, étonnée de savoir si bien fonctionner avec elle... sans oublier quelques engueulades pour nous ré-approcher comme adultes. Et maintenant, est-ce que nous nous connaissons mieux ? Je n'en suis même pas sûre. Nous n'avons pas eu de grandes discussions pour nous expliquer nos vies, nous n'avons pas vécu de crise terrible, ni de désillusions l'une face à l'autre. Nous avons rencontré du monde, des histoires, des paysages. Promesses de s'envoyer des colis, de se revoir, de «parler de la situation d'ici» chez nous et de celle de là-bas, ici. Et entre Gabrielle et moi, cette bulle de quotidien partagé, cadeau précieux avec lequel nous rentrons, chacune vers nos vies, à quelques centaines de kilomètres l'une de l'autre et si loin de l'Uruguay.