updated 6:51 PM CEST, Jun 27, 2017

Bientôt...

 lemiliedegourdie1

ENCORE UN PEU DE PATIENCE!

LES NEWS SONT EN ROUTE!

La force des auto-stoppeuses

Chère émiliE, mon voyage en Uruguay est fini... De retour par ici et sur ton invitation, je continue le voyage dans les paysages plus familiers de ma vie quotidienne à l'européenne. Bonne lecture ! C.M.

«Vous avez pas peur ?». La question qui tue. Ou plus exactement, la question qui m'épuise...
Les pylônes électriques défilent en rythme sur le bas-côté. Une buse, puis une autre, puis une troisième, nous regardent passer en trombes, perchées sur la barrière qui longe l'autoroute. La campagne est blanche de neige. Je n'ai pas du tout envie de me retrouver coincée sur le bord de la route par ce temps.
 –    Peur ? Non pourquoi ?
 –    Quand même, une petite jeune fille comme vous, faire du stop toute seule...
Voilà, c'est l'éternelle question. Je fais du stop depuis une quinzaine d'année maintenant, été comme hiver, j'ai fait des milliers de kilomètres, je n'ai jamais eu de gros soucis.

Une fois seulement, je suis tombée sur un type qui m'a demandé de lui tailler une pipe. Je lui ai répondu qu'il tombait hors de mes horaires de boulot et, qu'en plus, mes tarifs étaient carrément trop chers pour lui. Il s'est tu et a même fait un détour de trois quarts d'heure pour me déposer à ma destination.

Une autre fois, il y a bien plus longtemps, un type s'était masturbé tout en conduisant, sans rien me demander, à 145 km/h sur l'autoroute. J'étais restée pétrifiée, attendant la prochaine sortie, 25 kilomètres crispée sur mon siège. Sans rien dire ou faire, j'avais demandé à descendre dans un souffle de voix, dès que possible. Il m'avait lâchée sur la bordure pourrie de la voie rapide. J'avais envie de vomir mais ce n'était pas à cause des virages. J'étais écœurée, comme salie. Et surtout tellement en colère d'être restée impuissante, de ne pas avoir hurlé au moment de la descente : «TU NE FAIS PLUS JAMAIS ÇA ! À PERSONNE !». Je m'en suis voulu un bon moment de n'avoir rien fait. Mais la nécessité de voyager était trop forte pour que ces regrets me dégoûtent de l'auto-stop et j'ai donc pris une série d'engagement vis-à-vis de moi-même : 1/ faire du stop toute seule seulement quand je m'en sentais l'énergie et toujours m'autoriser à refuser de monter dans une voiture ou à demander d'en descendre ; 2/ ne plus jamais culpabiliser de ces moments où «je ne le sentais pas» et 3/ dès que possible «éduquer» les automobilistes, pour qu'ils ne fassent plus ce genre de chose, ni à moi, ni aux suivantes...

«Ce n'est pas très prudent de voyager toute seule».
Encore un...
 –    Oh, moi ça va : je voyage assez souvent en stop, ça se passe toujours bien.
 –    Oui mais quand même, avec tout se qui se passe... ça ne vous fait pas peur ?
C'est parti...
 –    Non... Mais vous savez quoi, on me demande souvent ça. Et si on y réfléchit bien... c'est vous qui devriez avoir peur, vous ne pensez pas ?
Silence gêné du conducteur, je poursuis :
 –    Regardez : vous avez vos mains prises par le volant, vous roulez vite, vous tenez à votre voiture...
 –    Et ?
 –    Et j'ai les mains libres, je peux ouvrir la fenêtre et balancer tout le contenu du vide-poche dans le bas-côté, je peux tirer le volant d'un coup et nous envoyer dans le décor...
Il ne sait toujours pas quoi dire. Il avale sa salive et lance des petits regards inquiets sur son vide-poche. Je laisse monter sa peur en souriant calmement, un long moment. Puis je m'explique :
 –    Vous savez pourquoi je vous dis tout ça ? Pour vous montrer ce que ça fait, de jouer avec la peur des autres. Vous voulez un conseil ? Si vous prenez une auto-stoppeuse et que vous craignez qu'elle ait peur de vous, rassurez-la au lieu d'alimenter ses supposées angoisses. Parlez-lui de votre destination, de votre boulot. De vos enfants ou de vos vacances. Demandez-lui si elle a envie de discuter ou si elle préfère se reposer. Donnez-lui des signes que vous n'avez pas d'intentions sexuelles à son égard.»

Car oui, parfois j'ai un peu peur en stop. Et je veux bien voir cette peur comme un signal utile, une alerte qui doit me rendre vigilante. Mais je sais aussi que j'ai appris depuis l'enfance à me percevoir comme la potentielle cible d'agressions sexuelles, comme tous les petits chaperons rouges à qui on répète en boucle de ne pas parler aux inconnus. Je refuse de me faire bouffer par cette peur-là. Je veux apprendre à y faire face, savoir que je peux me défendre. Faire la différence entre ma peur et le danger.
Le type ne comprend toujours pas :
 –    Je suis désolé, il ne faut pas avoir peur de moi... Je disais ça comme ça, pour votre bien.
 –    Écoutez, «l'auto-stoppeuse qui se fait violer», c'est un imaginaire très répandu. Mais ce n'est pas comme ça que ça se passe... La quasi-intégralité des agressions sexuelles sont commises par l'entourage connu des victimes, pas par des inconnus dans des stations-service désertes. Alors je ne veux pas négliger ce risque, mais si je laissais cette peur me paralyser, j'aurais arrêté de voyager bien avant d'avoir l'occasion de me défendre. C'est ça que vous voulez ? Qu'on arrête toutes de faire du stop ? Vous croyez qu'on ne peux pas se défendre ?
 –    Non, non, vous avez l'air très forte...
 –    Alors si vous voulez nous soutenir, ne posez pas de questions qui nous ré-assignent à notre vulnérabilité fantasmée. Acceptez la force des auto-stoppeuses qui font face... et discutons d'autre chose !
 –    Oui mais...
 –    Et si vous continuez, je vais vous faire la liste de toutes les choses affreusement violentes dont je serais capable pour empêcher un type de me faire du mal. Mais honnêtement je préférais ne pas avoir à en arriver-là... Tenez, regardez ! Encore une buse, là, sur la barrière. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi elles aiment se percher le long de l'autoroute, avec ce vent froid...
 –    … Vous aimez le free-jazz ?