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Des femmes devant et derrière la caméra




Pour sa 46e édition, qui a lieu du 17 au 25 avril 2015 à Nyon, le festival documentaire Visions du Réel se targue de faire la part belle aux femmes, avec un nombre record d’œuvres tournées par des réalisatrices et l’émergence d’une forte présence féminine comme sujet de documentaires.

Les femmes sont particulièrement bien représentées à Nyon cette année, que ce soit devant ou derrière la caméra. Ces derniers temps, la disparité entre le taux de réalisateurs et de réalisatrices a fait l’objet d’études aux Etats-Unis comme en France, accompagnés de coups de gueule dans les médias. Celui du collectif féministe La Barbe lors du festival de Cannes 2012 par exemple, lorsqu’aucun des 22 films de la sélection officielle n’était produit par une cinéaste ; celui de Patricia Arquette lors de la cérémonie des Oscars en mars dernier - pour rappel : une seule statuette a été attribuée à une femme dans la catégorie Meilleur réalisateur en 87 ans d’existence.

Les résultats des études font état de 14 à 25% de cinéastes femmes en France, alors que les étudiantes en réalisation à la Femis représentent un bon 40% des effectifs ; aux USA le taux se réduit à un minuscule 5%, cinéma et télévision confondus. Dans ce panorama, le 40% de réalisatrices de Visions du Réel fait donc très bonne figure.

Le nombre de documentaires portant sur une ou plusieurs femmes est aussi en nette augmentation au festival - des femmes d’exception, nous dit-on, comme pour valider cet état de fait. En l’occurrence, l’exception porte davantage sur la quantité et la diversité des portraits féminins, toutes sections confondues. Résilientes, parfois ordinaires, compétitives ou solidaires, la variété des personnalités, des parcours de vies et des styles filmiques compose un panorama de la féminité particulièrement riche et moins convenu qu’à l’habitude.

Dans les portraits de battantes, fortes et singulières que sous-entend la notion de femmes d’exception, le festival propose par exemple Madonna ou la lutte quotidienne de la seule femme chauffeur de bus en Géorgie pour conserver un métier réservé aux hommes et améliorer son lieu de vie. Résilience de trois générations de femmes syriennes dans Coma, survivant au jour le jour dans une ville ravagée par la guerre. Notre héroïne nationale, l’incontournable Ella Maillart, n’est pas en reste dans un portrait qui lie ses parcours intérieur et extérieur en associant les mots de ses carnets de voyage aux photos et aux images tournées sur la route. La lucidité brusque et le franc-parler de la vieille dame en fin de vie du film d’ouverture, Au crépuscule d’une vie, rappelle l’exploratrice suisse. Quand son fils lui explique qu’il fait un documentaire sur elle, la nonagénaire rétorque : « Quand on montre un film, c’est qu’il rapporte… Les émotions, c’est quoi ? ça rapporte. Et on aura une clientèle dont tu peux pas t’imaginer. Ca peut toucher tout le monde. »

Le festival met également en avant d’autres modèles féminins qui cherchent à se réaliser à travers le paraître ou l’expression de leur corps. Impressionnante détermination de fillettes et préadolescentes engagées dans la course à la célébrité sur le modèle américain dans la troublante comédie Next, qui fait état d’une génération dont les valeurs sont complètement investies dans la société de l’image. La compétition et la discipline sont également au coeur de Eismädchen, version patinage artistique, et de Horizontes de la réalisatrice suisse Eileen Hofer, de retour à Nyon avec pour sujet une école de danse classique à Cuba. Wild Women Gentle Beasts nous emmène, à travers les continents, dans le monde des dresseuses d’animaux sauvages, du côté des paillettes de la scène à un envers du décor fait de labeur, de danger, et du sacrifice d’une vie sociale normale.

D’autres films évoquent le rôle de la femme comme tissu social et humain, au delà des différences et des guerres. L’univers féminin transgénérationnel languide du clan matriarcal un peu post-soixante-huitard de Nosotras/Ellas, dont les hommes semblent quasiment absents, forme un patchwork multicolore et résistant qui puise sa force dans le groupe et dans chacun de ses membres. Dans Women in Sink, femmes arabes et juives coexistent harmonieusement et philosophent ensemble le temps d’un shampoing dans un salon de coiffure tenu par une arabe chrétienne en Israël. Le percutant Grozny Blues nous emporte en Tchétchénie à la suite d’un groupe de femmes artistes qui se battent pour les droits humains et la liberté d’expression. Dans le magnifique Madres de los dioses, construit comme un récit mythologique, des femmes de foi différentes s’allient pour ériger un temple œcuménique en Patagonie. Ces films rappellent que dans un monde où les hommes ne cessent de se faire la guerre, les femmes sont souvent celles qui savent se regrouper dans un esprit de solidarité, d’entente et de paix.



En multipliant les portraits de femmes, Visions du Réel enrichit ainsi la vision que l’on peut avoir de la variété des parcours de vie de femme et la multiplicité des féminins possibles. En attirant l’attention sur l’inégalité de traitement liée au genre dans le milieu du cinéma documentaire, le festival se positionne face à une problématique d’actualité et empêche sa banalisation. Il reste cependant encore beaucoup de chemin à faire, en révisant par exemple le taux de réalisatrices dans les fameux ateliers du festival. En effet, au cours des dix dernières années, seules trois MasterClass sur une vingtaine ont été données par des femmes. S’il est évident qu’un changement en profondeur prend du temps, il est indispensable de rester vigilant par rapport à ces inégalités de traitement, de continuer à chercher et promouvoir des films faits par des femmes et sur les femmes, et de poursuivre la belle lancée entamée cette année.

Photo 1, © Wild women, gentle beasts

Photo 2, © Mothers of the gods

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