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C. Dayer sur la diversité au travail

Les 28 et 29 novembre prochains ont lieu à Genève deux journées d’assises, intitulées «La diversité au travail : un enrichissement mutuel» à destination du monde économique et professionnel. Plénières, tables rondes, ateliers et témoignages présenteront les avantages qu’amène un milieu professionnel ouvert, bénéfique aussi bien aux employé.e.s qu’aux employeurs/employeuses. Caroline Dayer, enseignante-chercheuse à l’Université de Genève et membre du comité de pilotage des assises, en détaille le contenu.

l’émiliE : Pourquoi organiser ces assises concernant l'homophobie et la transphobie sur la thématique du travail en particulier?
Caroline Dayer : Ces assises s’inscrivent dans la continuité de celles portant sur l’éducation (2009) et de leur journée de suivi (2011). Organisées à nouveau par la Fédération genevoise des associations lgbt (lesbienne, gay, bi, trans*), en partenariat pour cette édition avec les associations professionnelles LWork et Network, la Haute Ecole de Travail social à Genève et le magazine Bilan, elles se focalisent effectivement sur les contextes professionnels. Cela renvoie au fait que dans l’architecture des discriminations au travail, le phénomène du placard s’articule à celui du plafond de fer et des parois de verres. L’objectif consiste donc à faire un état des lieux des formes d’homophobie et de transphobie au travail ainsi que des actions mises en œuvre pour enrayer les inégalités professionnelles et garantir des conditions de travail constructives et sereines.

Plafonds de fer, parois de verre, placards, vous pouvez préciser?
Le plafond réfère à l’éviction des femmes des postes élevés dans les hiérarchies (ségrégation verticale) et les parois à la concentration des femmes et des hommes dans différents secteurs (ségrégation horizontale). Le verre ou le fer illustrent les caractéristiques plus ou moins visibles, opaques et résistantes de ces obstacles. Cependant, faut-il pouvoir déjà «décoller» avant de s’y cogner dans un parcours professionnel. La métaphore du plancher collant permet ainsi de distinguer l’égalité d’accès de l’égalité de succès. Elle invite aussi à interroger les catégories «femmes», «hommes», «lgbt» qui ne sont pas homogènes. Ces personnes ne bénéficient pas des mêmes ressources - qu’elles soient économiques ou matérielles, sociales ou culturelles - et les inégalités (re)produites par le système de genre ne sont pas isolées d’autres formes de discriminations telles que le racisme ou le classisme par exemple. Le placard quant à lui renvoie à la crainte pour les personnes lgbt de faire leurs coming out au travail, qui constitue encore un solide bastion à affronter pour ces dernières. De la peur de la dévalorisation ou du licenciement aux railleries hétérosexistes, des violences physiques au harcèlement moral, l’homophobie et la transphobie se déclinent de manière plus ou moins directe et explicite. Le spectre de l’injure trace une cartographie mouvante qui dicte ce qu’il est souhaitable d’exprimer ou de réprimer, se module selon les contextes et se réitère de nouvelles interactions. L’impossibilité d’être soi ainsi que les expériences de discrimination au travail ont des répercussions sur la socialisation professionnelle, le déploiement des compétences et le climat de travail.

A qui s'adressent ces journées?
Ces assises s’adressent à l’ensemble des acteurs et actrices du monde du travail ainsi qu’à toute personne intéressée par ces questions. Elles concernent plus particulièrement les responsables des ressources humaines, les directions, les chef.fe.s d’entreprise, les institutions publiques, les chargé.e.s de formation professionnelle ou de questions de diversité, les médiateurs et médiatrices, les syndicats, les associations, tout.e employé.e. 

Comment amener le secteur privé à changer ses pratiques en la matière?
En fait des projets très proactifs viennent notamment du secteur privé et seront présentés lors des assises. Différents exemples émergent du privé ou du public, que ce soit à travers la création de directives ou la signature de chartes, l’élaboration de réseaux et de programmes, une communication interne et externe, une réflexion sur les types de  management favorisant le respect et le bien-être au travail. Si la diversité est envisagée comme un atout en termes professionnels, l’enjeu réside à mettre en discussion les écueils et les pistes qui s’en dégagent. Et le défi crucial renvoie à la mise en œuvre de fond et durable de telles actions ainsi que de leur accompagnement. Ce point ne concerne pas uniquement le secteur privé et les regards croisés réunis lors de ces assises visent précisément à mettre en perspective les parallèles et les spécificités de différents domaines.

Qu'en attendez-vous?
La complémentarité des interventions vise à décrypter les mécanismes de discrimination dans le monde professionnel et plus particulièrement ceux qui se fondent sur des dimensions basées sur le sexe, le genre et/ou la sexualité. Faire le point sur les formes d’homophobie et de transphobie au travail permet de décrypter les besoins spécifiques des personnes concernées (les lettres l, g, b et t* se déclinent différemment sous certains aspects) et de mettre en évidence que la police homophobe et transphobe ne vise pas uniquement les individus qui se définissent comme lgbt mais sanctionne toute personne qui transgresse les codes socialement construits. Dans ce sens, des pistes d’action vers davantage d’égalité seront discutées ainsi que des pratiques bénéfiques pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses, adaptables en fonction des contextes (la réalisation de différents documents et projets suivra ces assises). Il s’agit également de façon plus générale d’interroger le travail dans nos sociétés contemporaines en questionnant les tensions entre inégalités professionnelles et justice sociale, les sphères dites privées et publiques, l’articulation de discriminations pour certaines personnes, les enjeux de la souffrance et de la reconnaissance au travail.



l'émiliE - 2012-2016