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Rina Nissim, sorcière des temps modernes

Le dernier livre de Rina Nissim intitulé Le self-help et le mouvement femmes et santé. Une sorcière des temps modernes vient de sortir et devrait connaître le même succès que ses ouvrages précédents. L’auteure, qu’on ne présente plus, revient sur sa longue pratique d'infirmière, de naturopathe et de féministe. Elle s’intéresse à un aspect des combats des femmes, le self-help. Pour l’émiliE, elle détaille son propos.

l’émiliE : Qu'appelez-vous self-help?
Rina Nissim : Le self-help, c’est un mouvement pour la réappropriation du corps, initié par des femmes qui voulaient se rendre plus autonomes des médecins, des curés, des maris… aux Etats-Unis tout d’abord, puis en Europe et dans d’autres parties du monde. Our Bodies, Ourselves (Notre corps, nous-mêmes), un des ouvrages phare de ce mouvement est traduit en 26 langues et toujours réédité.




Toujours parler du corps des femmes, n'est-ce pas encore les réduire au 
biologique?
Il s’agit plutôt de la relation à notre corps et donc des rapports de pouvoir. Autour de la sexualité et de la reproduction, de la santé, de la maladie et des processus de guérison, il y a tout un travail à faire pour ne pas subir les choses, mais devenir des créatures fortes, autonomes et capables de jouer un rôle social.



Votre ouvrage retrace une partie de l'historique de certains mouvements 
féministes. Vous ressentez un devoir de transmission ?


Grâce au MLF, auquel le mouvement self-help était lié, les femmes ont obtenus de véritables avancées dans les années 70 et 80, le droit à l’avortement, l’accès à la contraception, au divorce, etc. Nous sommes malheureusement dans une période terriblement régressive. De nombreuses jeunes femmes se rendent compte que les droits ne sont pas acquis pour l’éternité et qu’il va leur falloir aussi lutter. Le self-help reste une démarche révolutionnaire. En plus, j’arrive à la retraite, alors je pense que c’est le bon moment pour raconter tout cela.

Vous rappelez comment vous ameniez les bonnes méthodes féministes en
 Amérique du Sud. La démarche n'est-elle pas un peu colonialiste ?

Il ne s’agissait pas d’amener la bonne parole. Dans le mouvement des femmes, nous avons beaucoup pratiqué l’échange. Pendant que j’étais en Amérique centrale, une femme médecin était en stage au Dispensaire des femmes où je travaillais. Cette année-là, nous étions une quinzaine dans cet échange. Nous avons chacune bénéficié de l’expérience des autres et sommes revenues dans nos groupes respectifs pleines de nouvelles idées et d’énergie. En ce qui me concerne, j’estime avoir beaucoup appris de l’éducation populaire pratiquée en Amérique latine, de plus le contexte d’un pays appauvris m’était inconnu. C’était très intéressant pour moi de voir que l’approche self-help collait aussi à cette réalité-là.



Face à l'avortement, vous pointez une médecine de classe et la morale 
judéo-chrétienne qui culpabilise les femmes. Est-ce que les choses ont 
évolué selon vous?

Malheureusement, avec le back-lash (retour de manivelle), les extrémistes religieux, entre autres chrétiens, reprennent du poil de la bête et reviennent en force. Ils ont même fait une alliance avec les fondamentalistes musulmans pour faire reculer les droits (sexuels et reproductifs) des femmes au niveau des textes internationaux. Cela se voit aussi à des choses qui peuvent paraître de moindre importance, comme le puritanisme qui revient. Ils ne veulent plus que les enfants puissent se promener ou jouer nus. Tout ce qui peut nous éloigner de découvrir nos corps, d’éventuelle source de plaisir et d’émancipation. Quant aux discriminations de classe, l’ascenseur social fonctionne moins bien que dans les années 70 et 80. On assiste à un appauvrissement des couches populaires et cela touche de plein fouet les femmes seules avec enfants, les femmes peu qualifiées, les femmes de couleur ou racisées…



Comment expliquez-vous que l'échec de la Conférence de Rio+20 en matière 
de droits des femmes n'ait pas mobilisé les féministes ?

Nous sommes dans une période de repli, les mouvements féministes, dans nos pays, ne sont pas très puissants et plutôt sur la défensives pour ne pas perdre des acquis. Mais les associations féministes et les ONG qui travaillent au niveau international y ont accordé la plus grande importance.



Quel regard portez-vous sur les luttes actuelles et à venir?

En raison de ce qui a été évoqué ci-dessus, les rapports sociaux se durcissent sérieusement. J’espère pouvoir encore assister de mon vivant à une puissante vague féministe pour lui apporter mon soutien. Ce qui se profile aussi, c’est une guerre entre les riches et les pauvres, tant l’écart entre les deux augmente. L’écologie aussi a sérieusement besoin de nouveaux porte-drapeaux et de populariser ces engagements. Les luttes des femmes devront mieux prendre en compte les liens entre oppression de sexe, de «race» et de classe. Il y a du pain sur la planche. Et pour faire face à cela il faut être autonome, forte… et en bonne santé.

Le self-help et le mouvement femmes et santé. Une sorcière des temps modernes, de Rina Nissim, Editions Mamamélis, 2014, 196 p., 20 Fr.

www.mamamelis.com


Photo © Joanna Osbert

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