Logo

CEDEF, l'heure de vérité

La Suisse doit présenter cette année les rapports 4 et 5 relatifs à l’application des dispositions de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination faites aux femmes (CEDEF ou CEDAW en anglais) qui a été ratifiée en 1997. Dans les bureaux de l’égalité, c’est le branle-bas de combat et les associations de femmes sont invitées «à contribuer à alimenter la réponse» que chaque canton fera remonter au Bureau Fédéral de l’Egalité. C’est un peu le moment de faire les comptes et de juger de l’efficacité des actions qui ont été menées depuis 2009, date des dernières recommandations émises par le Comité international du CEDEF. C’est aussi le temps de voir quels moyens ont été mis à disposition des acteurs-trices sociaux pour atteindre les objectifs fixés par la Convention et la volonté politique qui a porté le dispositif. En gros, c’est l’heure de vérité.

Si la Suisse a fait d’indéniables progrès pour parvenir à l’égalité et lutter contre les discriminations en modifiant notamment sa législation (loi de 2000 sur le divorce, loi de 1997 sur l’assurance-vieillesse et survivants, révision du code pénal en 2002 sur l’IVG…) et en ratifiant des traités internationaux (Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains…) afin d’être en conformité avec son engagement onusien, un certain nombre de points noirs subsistent. L’enjeu actuel est de prouver que la Confédération a bien tout mis en œuvre pour les éliminer.

Les critiques générales du Comité portaient alors sur le «statut juridique de la Convention, le mécanisme national pour l’égalité, la persistance de stéréotypes traditionnels profondément ancrés concernant le rôle et les responsabilités des femmes et des hommes dans la famille et dans la société en général, la prévalence de la violence dirigée contre les femmes, la situation des migrantes, la prévalence de la traite des femmes et des filles et de l’exploitation de la prostitution, la sous-représentation des femmes aux postes d’élection et de représentation dans la vie publique et l’inégalité entre les sexes dans le domaine de l’éducation et sur le marché du travail». Autant dire que tout le monde était concerné et qu’une révolution s’imposait. En coulisse, les 23 expert-e-s du Comité pointaient une mauvaise volonté tandis que les rapporteurs-euses suisses arguaient de l’immensité du chantier et de l’obstacle du fédéralisme.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Les bureaux de l’égalité font leur travail. Mais ont-ils les pouvoirs, la visibilité et les ressources nécessaires pour fonctionner de façon optimale et efficace ? De même, au niveau fédéral, la stratégie globale intégrée d’institutionnalisation de l’égalité incluant l’ouverture de crédits appropriés pour lutter contre le sexisme reste peu lisible. La réalité est par ailleurs contrastée suivant les cantons.

La sous-représentation des femmes en politique est un problème chronique. Avec 30% au National et 20% aux Etats, les chiffrent évoluent peu. C’est guère mieux au niveau cantonal. Le refus des quotas (initiative populaire de 2000) a largement contribué à bloquer la situation. Le Bureau Fédéral de l’Egalité évoque d’autres pistes, sans les préciser vraiment.

Que dire des 15% de femmes au poste de professeures d’université… Là encore, rien n’est entrepris pour faire changer les choses. La Suisse risque de se faire rappeler à l’ordre sur ce sujet d’autant qu’elle a les moyens d’imposer un cadre contraignant à ce niveau. Pour les inégalités salariales persistantes notamment dans le secteur privé avec un écart de l’ordre de 18,4% en défaveur des femmes, il reste encore du chemin à parcourir. Les initiatives des Bureaux de l’égalité ne manquent pas, à l’instar de celui de Genève qui propose des outils pour conseiller les entreprises ou pour évaluer les besoins et processus de GRH / management. Pourtant, dans les faits, une femme gagne en moyenne 1176 francs de moins qu’un homme. Cet écart de salaire est illégal et contrevient à la Loi fédérale sur l'Egalité (Leg) inscrite dans la Constitution fédérale. Les responsables de l’Union patronale suisse assurent pour leur part que cette discrimination s’explique en grande partie par les effets liés au profil de la personne (notamment l’âge, la formation et les années d’expérience), au poste occupé et au domaine d’activité. Ce résultat serait surtout un problème méthodologique. Là encore, la Suisse devra se justifier sur ce point devant les 23 expert-e-s.

Concernant le sexisme dans les médias et la publicité, les initiatives sont éparses, à l’image du canton de Vaud qui a interdit les affiches à caractère sexiste en 2012. Quid dans les autres cantons ? Théoriquement, les publicités sexistes sont interdites en Suisse. Pourtant, elles sont légions. Pourquoi les institutions publiques ne portent-t-elles pas plainte auprès de la Commission suisse pour la loyauté censée statuer sur la nature des représentations incriminées ? Il en va de même pour les médias : les pouvoirs publics se taisent sur les discours sexistes allègrement diffusés dans la presse, à la télévision, sur Internet.

Le plus grave est cette violence persistante à l’encontre des femmes, au sein de la famille, au travail et dans l’espace public. La quatrième conférence mondiale sur les femmes de Pékin, en 1995, a été déterminante dans la diffusion de cette catégorie d’action dans les sphères gouvernementales. Devenues alors enjeu politique, les violences faites aux femmes font l’objet de débats et de controverses, de comptages par les pouvoirs publics et de politiques publiques, à travers des campagnes de prévention, la création de refuges ou de centres de conseils. Le bilan statistique n’est pour autant pas reluisant : une femme sur cinq est victime de violence en Suisse. Entrent dans cette définition les violences sexuelles, conjugales ou encore intrafamiliales. Et logiquement, ce sont les violences domestiques qui font l’objet d’actions publiques conséquentes. Mais qu’en est-il des autres violences (harcèlement de rue, harcèlement au travail etc) ? Quels moyens législatifs, humains et financiers sont mis à disposition des associations et institutions ?

Au final, il est clair que la Suisse a fait du chemin depuis 2009, date des recommandations émises par les expert-e-s de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination faites aux femmes. Cependant, il n’est pas certain qu’elle ait répondu avec efficacité à l'ensemble des exigences qui lui incombent. Il semble que manque encore une véritable volonté politique pour parvenir à bout des ultimes résistances qui empêchent l’égalité de fait.

l'émiliE - 2012-2016