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L’affiche invisible


En mars, à Genève, est placardée l’affiche lauréate d’un concours s’inscrivant dans une campagne publique de lutte contre l’homophobie des cantons de Genève et de Vaud. Décryptage par une professionnelle de la communication.

 

Noyés dans un fond bleu foncé, ces tout petits caractères : «Ce ne sont que deux personnes qui s’aiment». Les réactions des intéressé-e-s fusent. Le grand public, lui, passe à côté.

Un message obscur

L’incompréhension se réfère autant au choix de l’affiche qu’à son message. De qui parle-t-on : d’une «black» et d’un «beur», d’un frère et d’une sœur ? Non seulement cette phrase ne se rattache pas au registre de l’homophobie mais en plus les personnes homosexuelles ne sont pas, et ne seront jamais, uniquement ni forcément que deux êtres humains qui s’aiment. La dimension individuelle comme historique est évacuée alors que l’homophobie cible autant des individus qu’une collectivité de personnes qui n’ont pas en commun le fait de s’aimer, mais bien au contraire d’être la cible de discriminations en raison de leur dérogation aux conventions hétérosexuelles et aux normes construites du masculin et du féminin.

Cette réduction à la sphère intime constitue une régression : le privé n’est-il pas politique ? Et si l’idée est de parler d’amour, duquel s’agit-il ? D’un amour sombre, moindre, ne concernant que des couples et sans portée universelle?

Agnès-Maritza Boulmer, spécialiste en communication, s’interroge sur la signification de ne sont que : «Ce négatif sous-entend un positif qui est nécessairement péjoratif : ce ne sont pas des monstres, ce ne sont pas des animaux ? C’est ça le message ?».

 

Une affiche invisible et illisible

Pour cette professionnelle de la communication, une affiche efficace doit être visible et lisible, «critères auxquels cette affiche ne répond pas du tout, en raison de son à-plat monocolore foncé et parce que ce dernier noie complètement la phrase qui est écrite en blanc, illisible à plus d’un mètre». L’experte souligne qu’une affiche percutante doit énoncer un message clair au premier coup d’œil et être intelligible par n’importe qui, qu’elle soit dans la rue ou à l’école, ce qui n’est pas le cas ici à ses yeux tant la phrase de prête à confusion et délivre même des contre-messages. Ces différents constats vont à l’encontre du propos tenu par Elisabeth Thorens-Gaud, attachée aux questions d'homophobie et de diversité pour les cantons de Genève et de Vaud, pour qui l’affiche lauréate propose un message clair et «compréhensible pour tout le monde» (Le Courrier, 29 février 2012).

 

Le choix de l’invisibilité

Agnès-Maritza Boulmer estime incompréhensible qu’une telle affiche ait été primée pour une campagne publique contre l’homophobie : «Ce choix dénature et détourne la gravité de l’homophobie. On a l’impression qu’il y a une volonté du jury d’esquiver le sujet, de refuser le danger que l’homophobie peut constituer et ça c’est réellement dangereux». Elle poursuit en relevant que les annonceurs sont difficilement identifiables: «A quoi se réfère Mosaic-info, à une mosaïque de quoi ? Et Stop homophobie ? A l’association française de ce nom ?» Si c’est le thème de la campagne, il devrait être signalé de façon prépondérante pour qu’on comprenne immédiatement de quoi il s’agit.

L’experte fait un constat similaire concernant la cible de la campagne en soulignant que le manque d’imaginaire de l’affiche ne crée aucun lien avec le public. Pourtant le support choisi est censé atteindre tous les publics en général et les jeunes en particulier. Pour elle, «on ne veut pas vraiment que les gens comprennent de quoi on parle, tellement on brouille le message». Agnès-Maritza Boulmer remet en cause l’organisation du concours : «Je n’ai rien à dire sur l’étudiant qui a fait cette affiche, on sent très fortement que le concours a été organisé à la légère, il n’y a sans doute même pas eu de brief et du coup l’affiche lauréate semble inutile. Cette affiche prouve une chose : à aucun moment, il n’y a eu dans le jury un-e professionnel-le de la communication, ni un-e spécialiste des questions d’homophobie». De son côté, Think Out (association des étudiant-e-s LGBT (lesbiennes, gays, bi, trans) & friends de l'Université et des Hautes Ecoles de Genève) souligne «qu’aucun-e membre d’associations LGBT n’a été approché-e pour faire partie du jury du concours, ce qui peut d’ailleurs expliquer un tel résultat». La Fédération genevoise des associations LGBT (360, Dialogai, Le Gai Savoir, Lestime, Parents d’homo, Think Out) précise qu’elle ne s’engage pas dans l’exposition des affiches car elle n’a participé ni à sa conception ni à sa réalisation.

 

Contre la mise au placard

Pour Think Out, d’autres affiches du concours traduisaient «de manière bien plus claire et efficace une vocation de lutte contre l’homophobie». L’association note que Genève, et plus généralement la Suisse, ne sont pas si avancées en la matière que nous pourrions le croire, ce que confirme l’état des lieux 2011 élaboré par l’ILGA-Europe (International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association) dans lequel la Suisse se place notamment loin derrière la Suède et l’Espagne. Think Out a donc élaboré sa propre brochure afin de faire prendre conscience aux gens des formes d’homophobie et de transphobie que peuvent connaître les jeunes LGBT, «de l’urgence qu’il y a à agir concrètement pour les accompagner et, dans les cas extrêmes, les sauver du suicide. Il y a une priorité sur la formation des enseignant-e-s par des spécialistes et sur l’encadrement des étudiant-e-s». Think Out relève que les interventions en milieu scolaire, avec les témoignages de jeunes personnes LGBT et de parents d’une personne LGBT, sont interdites à Genève, alors que ces actions ont fait leur preuve et sont pratiquées en Suisse alémanique. Au regard des avancées effectuées et des horizons à défricher, on ne peut que s’interroger sur l’efficacité d’un tel placard.

© Photo, Joanna Osbert

www.ilga-europe.org

www.think-out.ch