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genre&féminismes

Vinila von Bismarck

Icône burlesque à la pointe

 

A l’heure où le Burlesque redresse du téton, que ce soit dans la Tournée de Mathieu Amalric, le Burlesquede Steven Antin avec Cher et Christina Aguilera, ou version olive pasteurisée dans le martini géant de Dita von Teese, rencontre avec l’égérie espagnole du genre.

 

Née Irene Lòpez Mañas dans le village granadin de Peligros (« dangers » en français !), Vinila von Bismark promène depuis l’adolescence ses multiples talents de théatres alternatifs en discothéques trendy, et de bars louches en émissions bien vues. Blonde aux platines, bombe sur papier couché, elle explose littéralement sur scène, comme portée par l’esprit conquérant de ses prédécesseuresl. Comment cette « Reina del Burlesque » se situe-t-elle par rapport au féminisme ? Présentation, et réponses.

Vinila Von Bismark, comment-vous définiriez-vous ?

Je me définis comme une artiste pluridisciplinaire : chanteuse, djette, artiste de Burlesque… très travailleuse et désireuse de faire connaître son art. Mais je me définis avant tout comme une femme libre, qui s’est battue pour le rester, autant dans l’expression de son art, que dans ses relations amoureuses.

Comment avez-vous choisi votre nom de scène ?

Depuis petite je suis fan de vinyl, d’où le « Vinila ». Le « Von Bismark » provient de ma passion pour l’esthétique allemande de l’entre-deux-guerres, si élégante, martiale, pleine de panache, et du cabaret berlinois.

Qu’est-ce qui vous a attiré au Burlesque ?

Ce sont les femmes exubérantes de l’époque, celles qui ont marqué les débuts du genre, leur féminité extrême. Leur façon si élégante de se moquer du monde à travers leurs spectacles. Et aussi le fait de pouvoir m’exprimer avec une liberté totale.

Voyez-vous le Burlesque comme un mode d’expression féministe ? Ou plutôt comme une façon de subvertir les normes sociales de tous genres ?

Pour moi, le Burlesque est l’expression maximum du pouvoir de la femme à travers la chair et le désir, qui s’employait et s’emploie toujours à subvertir les normes ou rire des classes supérieures.

Quelle est votre relation au féminisme ?

J’ai 24 ans, et le féminisme qui me touche est celui de notre époque, cet ’élan féministe plus contemporain qui nous permet de mener l’existence que nous avons choisie. Je suis DJ depuis que j’ai 14 ans, j’ai travaillé avec des troupes d’art-performance et de théâtre alternatif et j’ai dû, depuis très jeune, affronter des attitudes machistes dignes de l’âge des cavernes ! Mais grace à mes principes et à la force de mes convictions j’ai réussi à m’imposer. Je suis la patronne de ma propre vie !

Quelles sont les personnes qui vous ont le plus influencé ?

Mes influences vont de Candy Barr à Johnny Cash en passant par Mamie Van Doren, Marlène Dietrich et Joséphine Baker.

Votre public de Burlesque est-il le même que celui de vos concerts ?

Le public qui me suit dans ma carrière musicale connaît mes interprétations burlesques, mais il est aussi très ouvert à d’autres genres, ce n’est pas un public « spécialisé », il est plutôt éclectique. (n.d.l.r, cf article « Vinila de Noche »).

Une dernière question : vous vous êtes produite comme DJ à Berlin tout récemment, à quand Vinila « on the road » à travers la Suisse ?

Après mes performances à Berlin, en Lituanie et en France, j’adorerais monter sur scène en Suisse ! J’attends vos propositions…

Interview et adaptation française :

Leo Williams

Liens:

www.vinilavonbismark.com / Vinila Von Bismark and The Lucky Dados, The Secret Carnival CD, 2010 Subterfuge Records

  • Écrit par Administrator

Masculinités

Enseignant au département des Etudes genre de l'Université de Genève, Christian Schiess revient sur les rapports sociaux de sexe et la prétendue crise de la masculinité.

Comment en êtes-vous arrivé là ?

Après une licence en relations internationales, j’ai travaillé quelques années et c’est par la formation continue « Aspects sociaux et culturels du féminin et du masculin » que je suis arrivé aux études genre de Genève en 2002. Ce qui m’a attiré immédiatement dans cette formation, c’est qu’elle détonnait au milieu d’une offre de formations appliquées à la gestion et au marketing. C’était une occasion de de me replonger dans le bain universitaire, de déconstruire les idées reçues dont on nous abreuve en matière de sexe et de sexualité, de réfléchir sur moi-même aussi. Je n’ai donc pas hésité une seconde. Après cette formation continue, j’ai enchaîné avec un DEA en sociologie et j’ai consacré mon mémoire à la construction sociale du masculin, avant  d’occuper un poste d’assistant puis de chargé d’enseignement en études genre.

Quand vous vous levez le matin, que voyez-vous dans votre miroir ?

Euh… je me vois moi. Vous voulez savoir si je me vois en tant qu’homme d’abord?

Vous vous définissez comment ?

Oui forcément, je suis un homme forcément.

Oh belle définition, « je suis un homme forcément »…

Si je dis forcément, c’estqu’on m’a d’abord défini comme tel et que j’ai fait à peu près ce qui fallait pour qu’il n’y ait pas trop de doutes là-dessus. Je n’ai pas développé de stratégies de brouillage particulières, je ne suis pas très queer dans mon genre, donc forcément pour ces raisons je suis un homme. C’est mon état civil, c’est ce qu’on dit les médecins à ma naissance, les gens me reconnaissent comme tel, avec les privilèges et les ogligations que ça implique.

L’idée d’être un homme est-ce un faux privilège ?

C’est bel et bien un privilège dans la mesure une position d’homme procure un accès prioritaire aux ressources matérielles et symboliques, par exemple à un travail mieux payé et mieux reconnu, ou encore à une plus grande liberté dans l’usage des espaces publics. Les hommes développent diverses stratégies pour accéder à ces privilèges, même si ces stratégies ne sont pas toujours conscientes. Le pouvoir dont disposent les hommes n’est d’ailleurs le plus souvent pas perçu comme un pouvoir, mais comme un mérite ou comme un droit, voire comme une seconde nature : « être un homme, tout simplement ». Mais derrière ce « tout simplement » se cache en fait un travail d’arrache pied qui se fait dès le plus jeune âge et qui consiste à se distinguer des filles qui sont activement consituées en êtres dévalorisés. C’est pour cette raison qu’il n’est souvent pas aisé de se reconnaître ensuite comme un dominant, surtout dans les classes supérieures diplômées.

Justement les hommes souffrent-ils de normalité ?

Les hommes souffrent, mais sans doute pas de normalité. La normalité, comme conformité à la norme dominante, est plutôt porteuse de privilèges. Mais elle a en effet un coût. Le prix à payer pour devenir un homme est assez élevé, comme l’illustre de manière vertigineuse le célèbre poème de Kipling, If, qui se termine par « Sois un homme mon fils » . Pour une fille, cet énoncé ne ferait pas sens. Si on devient homme, il faut accepter une part de souffrance mais au final il y a ces privilèges, voilà ce que dit l’énoncé. Dans ce cheminement, il y a toute une série de laissés-pour-compte. Si l’homme idéal dans nos sociétés libérales et capitalistes, c’est l’homme manager, il y a ceux qui ont les moyens matériels et culturels de mener à ce projet de masculinité et il y a nécessairement des laissés-pour-compte puisque tous les hommes ne concourent pas à armes égales. Et l’ouvrage doit toujours être remis sur le métier, car le risque d’une relégation dans la catégorie du féminin est encouru constamment. Etre un homme n’est jamais acquis, puisque c’est une norme précisément. On comprend qu’en raison des investissements consentis, renoncer aux privilèges acquis devient de plus en plus coûteux et improbable avec les années.

Mais pour en revenir à la souffrance des hommes, il est vrai que c’est un phénomène de plus en plus thématisé dans les médias et dans certains groupes d’hommes que l’on qualifie parfois de masculinistes. L’ennui, c’est que lorsque l’on parle des hommes comme d’un groupe homogène, on ne sait plus vraiment à quoi on se réfère. Si je dis : « les hommes souffrent », en insistant sur cette souffrance collective je sous-entends nécessairement que les femmes souffriraient moins, ou alors qu’elles auraient déjà suffisamment parlé de leurs souffrances, voire qu’elles seraient collectivement responsables de la souffrance des hommes. C’est un discours sournois, celui de la « crise de la masculinité », qui peut parfois être franchement réactionnaire. Et c’est justement un des privilèges des groupes dominants d’attirer la compassion vers eux. La vraie question pour moi n’est pas de savoir si « les hommes » souffrent ou non, mais d’analyser la capacité des différents groupes sociaux à faire valoir et reconnaître leur souffrance dans l’espace public. On peut penser à l’immense asymétrie compassionnelle dans le traitement médiatique des victimes civiles des attentats du 11 septembre 2001 et des guerres en Afghanistan et en Irak qui s’en sont suivies. Il est probable que la même logique vaille en matière de genre. Les groupes d’hommes qui se sont constitués autour d’un discours de crise sont composés d’individus plutôt diplômés, blancs et hétérosexuels, c’est-à-dire dominants parmi les dominants. Pendant ce temps, la souffrance des ouvriers (et a fortiori des ouvrières) est  de moins en moins visibilsée de par la décomposition des collectifs syndicaux. Quand on sait que l’identité virile est étroitement liée à celle de travailleur (ouvrier notamment), on comprend la complexité des situations vécues, et du même coup la tentation d’attribuer un peu rapidement aux femmes (ou aux féministes) la responsabilité des souffrances générées par des transformations sociales qui ne sont souvent pas propres aux rapports sociaux de sexes, comme la précarisation engendrée par le néolibéralisme.

Bien sûr, ce souci de clarification vaut aussi lorsque l’on parle du pouvoir des hommes : affirmer que les hommes disposent de pouvoir en tant qu’hommes ne signifie pas que chaque homme serait privilégié par rapport à chaque femme, ce qui serait aberrant. Les luttes féministes et les études genre ont mis au jour l’existence de certains privilèges propres à la domination masculine, tout en montrant que les rapports sociaux de sexe sont imbriqués dans d’autres rapports sociaux. On n’est jamais qu’un homme ou qu’une femme. Pourtant, les énoncés du type « les hommes sont ceci » ou « les hommes sont cela » sont omniprésents dans les discours médiatiques mais aussi scientifiques. Dès qu’on parle des hommes, il faut préciser de qui on veut parler. Je commence d’ailleurs chaque année le séminaire en expliquant que les hommes n’existent pas !

N’est-ce pas quand même parce que vous vous sentez discriminé d’une manière ou d’une autre que vous avez développé un intérêt pour les rapports sociaux de sexe ?

Oui bien sûr, les objets d’étude nous choisissent autant qu’on les choisit. C’est aussi parce que j’étais en porte-à-faux par rapport à certaines normes de la masculinité et ça doit être le cas pour la plupart des hommes qui s’impliquent dans les men studies. Ce sont des hommes qui ont trouvé dans les théories féministes des moyens, des outils pour déconstruire et comprendre ce qui leur arrive personnellement. Dans mon cas, cela a eu un effet émancipateur. Ce que montrent finalement les men studies c’est que très peu d’hommes correspondent à l’idéal masculin. C’est l’idée de masculinité hégémonique de Connell. C’est un modèle idéologique très puissant qui fait courir les hommes dans un même sens, celui qui les conduits à être reconnus comme des hommes hétérosexuels.

C’est « sois un homme mon fils » tandis que pour les femmes c’est « sois belle et tais-toi »…Comment amener les hommes à se pencher sur ce sujet sensible ?

En tant qu’enseignant avec quelques dizaines d’étudiant-e-s par année, je n’ai pas une grande influence, mais en même temps c’est une fonction privilégiée. J’essaie de les familiariser avec les méthodes de la déconstruction critique et logique de ces catégories binaires, toutes faites, qui s’imposent à nous et qui sont en bonne partie transmises par le système scolaire et universitaire. J’y donne un sens à la fois sociologique et politique. Le lien féminismes/ études genre est pour moi évident, même si certain-e-s préfèrent le nier (une autre affaire de privilèges…). La déconstruction des catégories de pensée a permis aux mouvements féministes d’alimenter leur critique sociale. A l’échelle de mon enseignement, j’essaie de m’inscrire à ma façon dans ce mouvement. Mais il y a parfois des désillusions, comme lorsqu’au terme d’un semestre, des étudiant-e-s assènent sans autre argumentation que la biologie est la première explication des différences sociales entre femmes et hommes et qu’il serait donc inutile de trop y réfléchir…

Quelle est la proportion d’hommes qui assistent à vos cours ?

Environ un quart d’hommes pour trois quarts de femmes. C’est clairement plus que dans les autres cours en études genre. Sans doute que le fait que j’y traite du masculin, et que l’enseignant soit un homme y est pour beaucoup.

Quelle légitimité avez-vous au sein d’un département d’études genre ?

Ce n’est pas à moi qu’il appartient de répondre à cette question, même si je viens déjà d’y répondre partiellement.  Le fait qu’il y ait très peu d’hommes dans ce champ joue sans doute en faveur.  Mais il y a aussi une dimension plus structurelle. Dans le monde universitaire comme ailleurs, la parole des hommes est perçue comme plus légitime que celles des femmes, et c’est un mécanisme avec lequel je suis nécessairement amené à composer.

Comment faites-vous ?

D’abord en essayant de pas me cacher le fait que ma situation aux études genre est  paradoxale, puis en en parlant avec mes collègues pour essayer de le gérer au mieux. D’une manière plus générale les attitudes à mon égard oscillent entre la curiosité et la bienveillance. J’ai rencontré parfois des réactions de mépris, mais ça reste exceptionnel. Je suis en général surpris par l’enthousiasme qui prévaut à la simple idée qu’un homme s’intéresse aux études genre. Cela est plus fréquent dans les pays anglo-saxons et scandinaves ou leurs contributions sont plus anciennes, mais reste encore plus rare dans le monde universitaire francophone. On y observe cependant depuis quelques années une augmentation des publications sur les hommes et la virilité, notamment en histoire et dans les études du sport.

Propos recueillis par Nathalie Brochard

Coming out féministe

« La ménagère sort du placard. Un réjouissant coming out… » (Femina, 8 janvier 2006).


Quels sont les contours de ce placard ? En quoi cette sortie se rapprocherait-elle d’un coming out ?

Si l’expression coming out of the closet (sortir du placard) renvoie au fait d’exprimer son homosexualité, pourquoi ne pas utiliser cette métaphore pour appréhender d’autres expériences vécues en termes de sortie de placard (Dayer, 2010) ?

Non seulement cette notion est employée dans le sens commun et dans des contextes divers - à l’instar de l’exemple de coupure de presse ci-dessous - mais surtout elle comporte une utilité sociale et épistémique en permettant de formuler l’idée d’un passage de l’ombre à la lumière, du cloisonnement à la libération.

Interrogeons donc cette réappropriation et cette extension de la métaphore du coming out hors de son contexte d’émergence - sans occulter les spécificités de ce dernier - en abordant un autre domaine d’investigation, celui du féminisme.

Qu’en est-il du coming out (de la sortie du placard) féministe ? En d’autres termes, qu’en est-il du fait d’exprimer son féminisme ?

Etymologie du placard

Une perspective étymologique permet de découvrir que la notion de placard [(plakar) n.m. 1364] (Rey, 2004) est formée sur le radical de plaquer, rattaché à la racine indoeuropéenne frapper qui renvoie aux expressions latines plaga (plaie) et plangere (plaindre). Si plaquer est utilisé en diplomatie dans le sens d’Appliquer un sceau à, il a ensuite désigné un écrit diffamatoire affiché sur un panneau pour donner un avis au public. Cette idée d’application au mur a donné lieu à l’acception d’un assemblage de menuiserie (1572) qui s’élève jusqu’au plafond puis d’un enfoncement ou recoin de cloison constituant une armoire fixe (1748). De cette signification proviennent les usages contemporains tels que l’emploi argotique pour Prison, l’expression familière Mettre au placard qui correspond à une mise à l’écart ou la locution familière Avoir un cadavre dans le placard qui se rapporte à une affaire que l’on ne tient pas à divulguer.

Le placard renvoie ainsi autant à une dimension d’invisibilisation (garder une affaire cachée) que de visibilisation (donner un avis au public). Il réfère autant au contenant d’un secret qu’au support d’une révélation. Cette double acception peut renvoyer autant à l’invisibilisation des femmes qu’aux avis publics de chasse aux sorcières.

De plus, l’idée de frapper et d’appliquer un sceau ainsi que celle de plaie et de plainte peuvent être rapprochées de celle de stigmate. Provenant de la notion de piqûre, Goffman (1975) relève que ce dernier désigne des marques servant à exposer le caractère inhabituel et détestable du statut moral de la personne ainsi signalée.

Le stigmate - visible ou non de prime abord - incarne donc les aspects de diffamation et de mise à l’écart, alimentés par la production et la reconduction de stéréotypes dévalorisants. Certains discours conçoivent le féminisme comme une plaie (plaga) ou le vecteur d’éternelles plaintes (plangere). Les personnes se revendiquant féministes sont marquées par un sceau, un signe diffamatoire qui marque le stigmate ; elles seraient des hystériques, des frustrées, détestant les hommes. Ce sont pourtant principalement des femmes qui se retrouvent confinées dans des recoins, cantonnées dans des armoires étouffantes, des prisons domestiques ou des cages dorées - autrement dit, qui sont mises à l’écart. Et le féminisme se rapporte à ce cadavre dans le placard, à cette affaire qu’il est préférable de ne pas divulguer.

La logique du placard est ambivalente (Dayer, 2005). D’une part, il peut constituer une protection contre des manifestations discriminatoires et faire office de refuge ; il érige ses remparts et protège des attaques extérieures. Il est aussi source d’énergie créatrice à l’abri des regards inquisiteurs. D’autre part, traversé de failles, le placard offre une sécurité fragile et illusoire. Il génère également de la souffrance ; coupé du monde, il se transforme en piège. L’efficace du placard correspond moins à une armoire fixe qu’à un « ghetto psychologique » (Eribon, 1999) qui marque les limites à ne pas franchir quel que soit ; elle dissuade de s’aventurer en territoire hostile et elle étouffe le désir d’affirmation par crainte des représailles.

Le coming out féministe peut s’entendre comme un refus du placard sexiste qui dicte ce qui acceptable ou non, comme une insurrection face à l’assignation à une place infériorisée, face à la réduction à des catégories dominantes et réifiantes. Il défie l’obscurité comme l’obscurantisme, il brise le silence et fait éclater les verrous de l’oppression, il retourne le stigmate et remet en cause l’ordre établi ; il franchit les seuils injustes. Toutefois, la clé est-elle définitivement mise sous le paillasson ?

Epistémologie du placard

Oser son féminisme ne se réfère pas uniquement à un instant ponctuel et le seuil du placard n’est pas franchi une fois pour toutes, partout, auprès de n’importe qui et par le même procédé. Le coming out se décline au pluriel, il est précédé de cheminements et constitue une entreprise reconduite en permanence, une modulation perpétuelle du jeu que la personne opère entre ce qu’elle cache et ce qu’elle montre, selon les interactions, les contextes et les temporalités.

Le passage de la honte à la fierté s’opère à travers une réappropriation identitaire, individuelle et collective. Les manifestations de rue des mouvements de libération des femmes peuvent en effet être envisagées comme un coming out collectif, traversant les niveaux intrapersonnel, interpersonnel et sociétal, le privé se faisant politique. Ces processus d’affirmation et de visibilisation travaillent les tensions entre un « dedans » marginalisé et un « dehors » légitimé.

Les expériences de coming out, vécues comme une transformation identitaire et un changement de rapport au monde, remettent fondamentalement en cause des oppositions telles que (avant/après, dehors/dedans, public/privé, homme/femme, masculin/féminin, hétérosexualité/homosexualité, etc.). Ces dualismes, intégrés dans un système de division qui les naturalise, sont porteurs d’enjeux de pouvoir et davantage de légitimité est octroyée à un des termes de l’opposition.

Sedgwick (1990) - à travers son ouvrage Epistemology of the closet (Epistémologie du placard) - souligne d’ailleurs qu’aucun champ n’a échappé aux incohérences de l’assignation de chaque personne dans une identité binaire et qu’à l’instar de la pensée féministe qui interroge le genre et son binôme mâle/femelle, une analyse critique de toute dichotomie se montre nécessaire.

Placard hétérosexiste

Le placard sexiste est notamment déconstruit par Delphy (1998) lorsqu’elle décortique l’économie politique du patriarcat. Dans le même sens, Wittig (1992) remet en cause les fondements de La pensée straight en montrant que l’hétéronormativité fonctionne comme un système politique et Rich (1981) dénonce la contrainte à l’hétérosexualité.

Ces critiques remettent justement en question la production de dichotomies en soulignant le caractère construit de ces catégories et les rapports de domination qui les sous-tendent1. Les placards sexiste et homophobe s’articulent et sont sous-tendus par une même logique, hétérosexiste (Dayer, sous presse). L’hétérosexisme renvoie non seulement à la suprématie de l’hétérosexualité sur l’homosexualité mais également à « un système de pensée qui, par la conjugalité et la maternité, confirme la domination masculine dans les rapports de sexe. […] L’hétérosexisme se trouve à la fois à la racine de l’homophobie (envers les homosexuels), du sexisme (envers les femmes), mais aussi bien, de façon plus générale, quoique plus lointaine, à la racine de très nombreux actes de violence (envers toute personne, quelle qu’elle soit) dont les liens avec cette culture de l’identité masculine et de la force virile n’apparaissent pas à première vue » (Tin, 2003, pp. 208-210).

Parce que sortir du placard est encore difficile

L’exemple de la ménagère illustre l’utilisation de la notion de coming out pour rendre compte du refus de rester dans l’obscurité d’un placard imposé et étriqué. Plus généralement, cette métaphore permet d’éclairer l’architecture du placard sexiste et les processus de stigmatisation du féminisme. Elle rend compte d’une dialectique entre assignation et affirmation, invisibilisation et reconnaissance, d’un passage du silence à la prise de parole, de l’enfermement à l’émancipation.

Parce que sortir du placard est encore difficile, parce que se dire et être féministe est encore stigmatisé, sortons les archives des armoires, ravivons la mémoire et écrivons l’histoire.

Parce que le coming out féministe est une question de tous les jours et une entreprise incessante, veillons contre des retours au placard ; ouvrons les portes closes, cassons leurs cadenas, déverrouillons leurs serrures ; décelons et déjouons toute forme de placard, ici et ailleurs.

Parce que les placards sexistes perdurent et se transforment, donnons la voix aux expressions du féminisme, multiples et mouvantes.

1 Cette naturalisation des catégories est également remise en cause par la perspective queer (i.a. Butler, 2005 ; Sedgwick, 1998) qui développe notamment l’idée de performativité.

Caroline Dayer

 


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