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Quand on est une femme seule réfugiée

Quand on est une femme seule réfugiée, la vie ne va pas de soi. Sur les quatre millions de personnes qui fuient la guerre en Syrie, des femmes seules luttent pour leur survie et celle de leurs enfants. Si une partie d’entre elles parvient en Europe, la plupart croupissent dans les camps de Jordanie, d’Irak ou du Liban avec pour unique horizon, la violence.

Si les organisations humanitaires ont actuellement bien d’autres soucis que d’établir des statistiques sur ces femmes, un rapport du Haut Commissariat aux Réfugiés, intitulé Femme seule avait été publié l’année dernière motivant quelques reporters à aller dans ces camps, à la rencontre de ces Syriennes. Basé sur les témoignages personnels de 135 de ces femmes, recueillis au cours de trois mois d’entretiens début 2014, le rapport du HCR établissait à l’époque que 145'000 familles étaient dirigées par des femmes, contraintes d’assumer seules la responsabilité de leur foyer après que leur mari a été tué, enlevé ou séparé pour une raison ou une autre. Et face au cruel manque d’argent, elles doivent se battre sans cesse pour leur loyer, pour la nourriture, pour les médicaments.

En 2015, la situation de ces femmes ne s’est guère améliorée et le nombre de réfugiées n’a fait qu’augmenter. Après avoir épuisé leurs économies et vendu leur alliance, elles doivent compter sur l’aide extérieure, aléatoire et souvent dérisoire. Mais selon l’ONG Jordanian Women Union, c’est leur isolement-même qui rend l’accès aux aides compliqué : «Alors qu’elles ont encore plus besoin de soutien que les autres, beaucoup de femmes seules ne peuvent pas se rendre dans les centres sociaux et auprès des ONG car elles ne peuvent pas laisser seuls leurs enfants et les transports coûtent trop cher». Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés António Guterres explique que «pour des centaines de milliers de femmes, fuir leur patrie en ruine n’a été que la première étape d’un parcours semé d’embûches». Après avoir échappé à la guerre, elles sont confrontées à d’autres formes de violence tout aussi traumatisantes comme le raconte Nuha, arrivée au Caire avec son mari où peu de temps après, il a été assassiné : «Je ne veux pas quitter mon domicile à cause de la tristesse que j’ai dans mon cœur», dit-elle. «Nous avons fui la mort en Syrie pour la retrouver ici en Egypte». De nombreuses femmes se sont plaintes d’être harcelées verbalement – par des chauffeurs de taxi, des conducteurs de bus, des propriétaires, des prestataires de services, et par des hommes dans les magasins, sur le marché, dans les transports publics et même lors des distributions d’aide. «Une femme seule en Egypte est une proie pour tous les hommes», explique Diala, qui vit à Alexandrie. Même histoire en Jordanie selon Zahwa qui dit avoir été harcelée par des réfugiés en allant chercher des coupons alimentaires : «Je vivais dans la dignité, mais maintenant personne ne me respecte parce que je ne suis pas avec un homme».

Beaucoup refusent de s’exprimer sur les violences sexuelles qu’elles subissent. Au camp de Zaatari en Jordanie, où s’entassent désormais 200'000 personnes, le quotidien de ces femmes réfugiées respecte scrupuleusement la loi du silence. A l'intérieur du camp, pourtant, la sécurité des femmes n'est pas assurée, au point qu'Amnesty International avait lancé une campagne dès 2013 sur ce sujet précis en demandant aux autorités jordaniennes d'agir afin que les réfugiées puissent accéder en toute sécurité aux espaces publics du camp y compris aux toilettes, en empêchant notamment le vandalisme sur les éclairages. Toutefois, le lieu de ces agressions ne se limite pas au camp, comme l'ont constaté deux journalistes français Bruno Pieretti et Emmanuel Raspiengeas qui ont poussé leur investigation un peu plus à l’ouest jusqu’à Al Mafraq, ville-bordel de la région. Dans leur excellent reportage, publié dans Rue89, ils décrivent l’exploitation, la prostitution, le tourisme marital et le fantasme de la femme syrienne blonde aux yeux bleus. Ils racontent que «dans les rues défilent Saoudiens, Qataris, Yéménites et Jordaniens riches venus de villes plus au Sud» et qu’«aux portes du désert, plus aucun fantasme n’est trop dur, ni aucun goût trop bizarre. Il suffit de se marier, puis d’abandonner. Tout le panel des obsédés sexuels se retrouve dans les sables entre Mafrak et Zaatari».

Najwa, une des rares à en parler ouvertement, a témoigné au HCR de sa propre expérience : «Dans notre société, une femme qui vit seule n’est pas respectée. Une femme doit toujours être entourée d’un mari ou de parents. Les gens pensent donc que si je vis seule, c’est parce que je suis une sorte de prostituée. A chaque fois que quelqu’un me propose de l’aide, il me demande ensuite des services sexuels en échange». Aujourd’hui, au sein du HCR, Najwa accompagne les réfugiées qui ont subi les mêmes violences.

Si la majorité des femmes sont désemparées au regard du nouveau rôle qu’elles doivent tenir au sein de la famille, d’autres en revanche, loin de leurs maris et de la structure familiale traditionnelle, y trouvent l’occasion de s’émanciper et sont assez fières de vivre sans le soutien d’un homme. C’est le cas de Suraya qui cuisine dans la cafétéria du camp de Zaatari. Pour elle, c’est clair : «Quand je rentrerai en Syrie, il faudra que je travaille. Je n’imagine pas revenir un jour à mon ancienne vie de femme au foyer». D’autres encore, plus téméraires, tentent le voyage jusqu’en Europe. Dina qui vient d’arriver en Allemagne, seule avec ses deux enfants, savoure son exploit et sa nouvelle liberté. L’avenir enfin ?

Photo © Oxfam, Une femme avec ses enfants au camp de Zaatari.

 


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