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Rébellion dans le film d'animation

 

 


Cette année, le Festival international du film d’animation d’Annecy rend hommage aux femmes. Celles que Disney cantonnaient aux rôles secondaires – notamment au coloriage... Aujourd’hui, rassemblées en association, les professionnelles du milieu veulent s’imposer. Objectif : parité en 2025.

«Merci. Vous m’inspirez toutes !» Les compliments fusent, cette semaine à Annecy. Les femmes sont à l’honneur et certaines retiennent toute l’attention. Productrices, responsables du développement, programmatrices… elles ont fait leur place, à force de persévérance et de courage. Pour aider leurs consœurs, elles s’impliquent au sein de l’organisation internationale Women in Animation (WIA). Lors du festival, les membres de l’équipe présentaient les résultats d’une enquête inédite.

Dans le milieu, on compte 60 % de femmes parmi les étudiant-e-s, 20 % parmi les professionnel-le-s. Des chiffres pour la seule ville de Los Angeles, mais qui seraient similaires dans le monde entier, selon la co-présidente de WIA, Marge Dean. Où passent donc les 40 % restants, après l’obtention du diplôme ? Mystère. Cela fera l’objet de nouvelles recherches.

Messieurs, la compétition est ouverte
L’attention se concentre aussi sur le type de métier. Le problème date de la naissance du cinéma d’animation. En 1938, Walt Disney répondait à la candidature d’une jeune artiste en précisant que : «Le seul travail ouvert aux femmes consiste à dessiner les contours des personnages sur des feuilles vierges à l'encre de Chine et à les remplir de peinture au verso, en suivant les indications données.»

Aujourd’hui encore, on retrouve davantage de femmes dans les rôles exécutifs que créatifs. Elles sont quasiment absentes dans la réalisation de longs métrages, si on ne leur accole pas un homme (comme Jennifer Lee, accompagnée de Chris Buck au générique de La Reine des neiges).

Cette année, le Festival international du film d’animation d’Annecy a réuni des jurys entièrement féminins, mais celui de la compétition officielle longs métrages devra départager… uniquement des hommes. Un paradoxe. Marge Dean, également jurée, défend l’événement : «Ne blâmez pas les organisateurs ! On ne leur a pas assez soumis de films de femmes. Cette édition spéciale, c’est déjà beaucoup.»

« Ne tracassez pas votre jolie petite tête ! »

Beaucoup. Mais pas suffisant. Les professionnelles se plaignent d’une certaine solitude, dans un milieu viril. Elles font face, aussi, à un sexisme latent. Adina Pitt de WIA, brillante vice-présidente acquisition de contenus et coproductions (pour Cartoon Network et Boomerang), préfère en rire : «Un jour, au téléphone, on m’a répondu "Ne tracassez pas votre jolie petite tête avec ça !"»

Côté Europe, la réalisatrice française Florence Miailhe n’a pas senti d’obstacles pour la production de ses courts métrages. «Maintenant, je cherche à créer mon premier long. C’est difficile de trouver des financements, mais je ne sais pas si mon statut de femme entre en jeu… Enfin, on m’a quand même dit, malgré mon Cristal à Annecy, mon César et une mention spéciale à Cannes : "Tu sais, il faut des épaules solides pour faire un long métrage !"»

Une jeune femme raconte aussi qu’elle a carrément dû demander à sa hiérarchie d’intervenir. Au studio, ses collègues ayant découvert ses convictions féministes, ils se permettaient des remarques désobligeantes. «Certes, on ne sent pas de discrimination tous les jours. Mais dans l’animation, on entre dans un boys club.» Elle préfère témoigner de façon anonyme.

Les mentalités doivent changer. Les femmes aussi. À Annecy, le problème principal a bien été identifié : elles ne font pas assez preuve de courage pour s’imposer. Marge Dean raconte que, quand elle a commencé à travailler pour Mattel en tant que directrice de production, elle ne voyait que des hommes, avant de réclamer une certaine parité. «J’ai dit : "Vraiment, Messieurs, vous n’y avez pas pensé ? Peut-être pourrions commencer à engager des femmes pour la réalisation de Barbie.» Elle reçut une réaction positive. « fallait juste demander ! Ils n’y avaient pas pensé…»

Les femmes, douées dans l’organisation, manqueraient encore de cran pour affirmer haut et fort «C’est mon film !» WIA organise donc des programmes de mentorat, afin d’encourager les animatrices à être des leaders.

«Que les rêves deviennent réalité»

L’association se concentre aussi sur le réseau, afin de s’embaucher entre femmes, et sur des formations. Ces battantes comptent bien révolutionner l’animation. Après presque dix ans de travail, Marge Dean n’a qu’un seul regret : «En 2006, dans notre milieu, on comptait 16 % de femmes. Aujourd’hui, 20 %. L’évolution n’est pas assez rapide.»

Le groupe vise le chiffre courageux de 50 % en 2025. Encore une décennie pour évoluer, et faire avancer notre culture. Car les animateurs s’adressent souvent aux enfants et peuvent jouer un rôle fort dans la représentation des femmes.
Courage, Mesdames. «Suivez vos rêves. Vous pouvez les faire devenir réalité.» À Annecy, la phrase n’est pas sortie d’un dessin animé mielleux, mais de Jinko Gotoh, éminente productrice exécutive (dernier film en date : Le Petit Prince). Une prise de conscience collective. Durant le festival, une association française "Les femmes s’animent" a été lancée. Tout le monde veut faire preuve d’optimisme, avec un credo : place au changement. 


Notes :
Festival international du film d’animation d’Annecy jusqu’au 20 juin 2015. Programme sur www.annecy.org
Plus d’informations sur Women in Animation sur le site www.womeninanimation.org

Photo Florence Miailhe en dédicace à Annecy. Le festival lui remet le Cristal d’honneur 2015 pour sa carrière. © Clémentine Delignières

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