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Artivisme en vue


L’artiste espagnole Yolanda Dominguez (Madrid 1977) vient de secouer la toile en recréant “live” et “in situ”, pour le dénoncer, le spot publicitaire sexiste d’une grande marque de lunetteries. Le spot en question, à l’ambiance lupanar de l’ouest constellé de bombasses, dressait, d’après l’artiste, une analogie d’objectification entre les lunettes et les femmes, caractérisant ces dernières comme accessibles et accessoires. Accessibles parce qu’offertes et disponibles, et accessoires parce que l’homme peut en changer comme il veut.

L’artiste a donc appelé les femmes via sa page Facebook à se rendre dans les magasins de la marque, habillées en “prostituées” comme dans le spot publicitaire.
Le problème c’est que si à Séville, la police est intervenue en force pour les arrêter, à Madrid de nombreux clients ont pensé qu’ils s’agissait d’une action s’inscrivant dans la stratégie de communication de la marque, qui, en passant a récupéré pour moult euros d’espace publicitaire gratuit en étant citée dans toute la presse.

Le film critiqué par Dominguez dégage un sexisme certain (et une hétéro-normativité crasse, ce qui n’a l’air de déranger personne). Mais à part deux quasi-subliminales, les femmes qui y figurent sont habillées comme elles le seraient, par exemple, pour se rendre à un vernissage. Or, sur les photos relayées par la presse et les réseaux sociaux de l’artiste, ses “followeuses” occupent fièrement l’espace public en petite culotte. N’auraient-elles pas pu recréer la scène par un comportement, plutôt que par un déshabillage qui reproduit ce que l’artiste cherche à dénoncer? Ont-elles été envoyées dans l’arène nues juste pour promouvoir l’artiste ?

En parlant d’art engagé, l’écrivaine et peintre Bracha Ettinger1 développait en 2006 le concept de “wit(h)ness” néologisme combinant les paroles anglaises witness et with, (en français « témoin » et « avec ») et qui définirait l’action de témoigner par l’art avec empathie, d’accompagner par l’art celle/celui qui souffre. Avec Yolanda Dominguez, l’empathie se perd dans une image ripolinée reprenant les conventions visuelles bien léchées des films publicitaires contemporains. Et même si son action part d’une intention féministe, elle finit “encadrée” et mise en valeur telle une oeuvre d’art canonique, pendant que ses sujets d’inspiration restent anonymes, chairs à commerce pour Occidentaux sur-consommateurs.

Alors l’art de Dominguez est-il cause perdue ? Pas tout à fait. Toute femme occupant l’espace public relève du défi et de l’acte politique et contribue ainsi à faire avancer la schmilblickette. Mais toujours depuis le respect et la solidarité.

Dominguez demandait à la marque de retirer son annonce. Le lunettier l’a effacée de son site web, mais dit être victime d’une mauvaise compréhension de son spot qui ne visait à reproduire que «la sensation d’être au centre des regards lorsqu’on étrenne quelque chose de neuf». Ce qui serait vraiment neuf, c’est que la publicité cesse d’objectifier les femmes. Mais cette façon de voir n’a pas encore atteint tous les cerveaux… et ce n’est pas une question de lunettes.

Photo A. Sierra Serrano / Yolanda Dominguez

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