Logo

Erika Lust: le porno fun et féministe

Depuis 2005, la réalisatrice suédoise Erika Lust révolutionne le genre du porno en mettant les femmes aux commandes, devant et derrière la caméra. Alors que ses films tombent la culotte ce week-end à la Fête du slip, l'émiliE a tenté de mettre à nu une femme au féminisme joyeusement bandant. Interview.

l'Emilie: Qu’est-ce qui vous a décidé à réaliser du porno pour les femmes ?
Erika Lust: Quand j’étudiais les sciences politiques à l’université de Lund en Suède, je me suis rendu compte qu’il y avait un manque considérable de voix féminines dans l’industrie du film pour adultes. Mais c’est en lisant Hardcore de Linda Williams que j’ai compris que le porno est un discours sur la sexualité humaine qui peut être utilisé comme instrument de libération sexuelle. A cette même époque j’ai déménagé à Barcelone, commencé des études de réalisation, tourné The Good Girl qui a connu un succès surprenant sur le web, et lancé ma propre entreprise Lust Films. C’est là que j’ai repéré une niche (dans le marché du porno, ndlr) professionnellement et intellectuellement excitante. J’ai voulu redéfinir et rétablir la façon de penser le porno et de le filmer. J’ai voulu secouer une industrie dominée par les hommes. J’ai voulu donner aux femmes une voix dans le porno.

Comment votre cinéma se distancie-t-il du porno traditionnel et sexiste ?
Mon porno est intelligent et imaginatif, parce qu’il est inspiré par mon public. Il est centré sur des perspectives féminines avec notre plaisir en point de mire. Enfin, mon porno est créatif, contemporain et réaliste, avec des décors magnifiques, des professionnels et des amateurs qui s’assemblent pour recréer les fantasmes de femmes, d’hommes et de couples. Des thèmes et des valeurs qui ne se retrouvent pas dans le porno « traditionnel », celui-ci étant majoritairement le fruit d’esprits sexistes dénués d’imagination et de réalisme. Leurs caméras ne se concentrent que sur le va-et-vient des parties génitales et l’éjaculatoire « money shot » final.

Diriez-vous que vous faites du cinéma féministe ?
Etre féministe implique que l’on prenne en considération le point de vue des femmes et ceci est à la base de tout ce que je fais, pas seulement de mes films. Le féminisme influence ma façon d’être, de penser, d’élever mes filles. Inévitablement il fait partie intégrante de mon travail, tout comme les gadgets et les filles en bikini font partie intégrante d’un « James Bond ».

Mes films érotiques sont féministes parce qu’ils évitent les clichés sexistes et qu’ils sont centrés sur les femmes, nos besoins, nos passions et nos désirs. Mais surtout, mes films sont fun et sexy ! J’essaie de les rendre intelligents et imaginatifs en privilégient les points de vue féminins.

Vous dirigez votre propre maison de production. Trouvez-vous facile de vous faire une place dans ce milieu du porno, si lourdement masculin ?
Quand j’ai commencé, j’ai ressenti une très grande hostilité de la part des autres réalisateurs. Mon travail était dénigré parce qu’ils le considéraient une perte de temps et d’argent. Ils disaient « on s’en occupe, nous, du porno pour femmes » et ne voyaient pas pourquoi j’aurais soudainement besoin d’en tourner. Ils ont même jugé discriminatoire de ma part d’envisager cette idée! Ils affirmaient que je ne ferais jamais mieux qu’eux. Aujourd’hui, avec de nombreux prix à mon actif, plus de 30'000 membres sur mon site XConfessions, ainsi qu’une entreprise et une marque en pleine expansion, je leur donne tort, et la sensation est géniale!

Etes-vous une patronne féministe ?
Je ne suis pas sûre de savoir ce que ça signifie ! Mais comme expliqué plus haut, le féminisme inspire toutes mes actions, il s’épanouit dans mon entreprise, et dans l’équipe merveilleuse qui m’entoure. Mon staff de production est féminin à 90%, des femmes talentueuses, créatives et autonomes. Du coup, toutes les étapes de réalisation, maquillage, décors, scénarii, bénéficient en priorité d’un point de vue féminin. Alors, oui, je crois que je suis une patronne féministe, mais c’est une chose positive, non ?

Quelles femmes vous ont particulièrement inspirée ? Lesquelles admirez-vous tout particulièrement ?
En grandissant, j’ai été très influencée par Simone de Beauvoir et par le livre Under det rosa täcket (Sous le Duvet Rose) de l’écrivaine féministe suédoise Nina Björk.

Plus tard, à l’université, ce sont les ouvrages Hardcore et Porn Studies de Linda Williams. C’est grâce à elle que j’ai compris que je pourrais utiliser le porno comme outil de libération sexuelle, et tourner le genre de films que moi et beaucoup d’autres aimerions regarder.

Vous avez deux filles en bas âge. Comment sensibilise-t-on ses enfants aux questions de respect et d’égalité, alors qu’ils ont si facilement accès sur Internet à un porno violent et sexiste ?
Ma fille Lara m’a déjà demandé : «Maman, les gens sont toujours tous nus dans tes films?»
Mon partenaire Pablo et moi leur donnons déjà une éducation sexuelle, notamment avec le livre Where Did I Come From ? (Je viens d’où ?) et elles adorent. Les dernières tendances éducatives affirment qu’il est plus judicieux de commencer tôt à parler de sexe et de genre aux enfants, plutôt que d’attendre qu’ils aient dix ou onze ans, quand la honte apparaît dans les esprits pré-adolescents.

C’était facile de « sortir du placard » porno avec mes enfants, qui sont ouverts sur ce que nous choisissons de leur apprendre. Bien plus facile qu’avec certains adultes figés dans leurs stéréotypes sur le sexe et la pornographie.

Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’éduquer mes filles sur le sexe, mais aussi sur le porno, ce qui les avantagera plus tard. De nombreux parents donnent volontiers une éducation sexuelle mais évitent complètement de parler du porno. Et c’est une erreur, parce que le porno occupe une place importante. Il est pour beaucoup de jeunes la première et parfois seule « éducation sexuelle » qu’ils-elles reçoivent, et influence dramatiquement leur vision des genres et des relations.
J’en parle d’ailleurs dans la conférence TED donnée à Vienne en novembre dernier.

Quels sont vos prochains projets?
Nous sommes en phase création du volume 5 de XConfessions et je prépare un long-métrage pour cette année. Je suis aussi très fière de participer aux 10ème anniversaire des Feminist Porn Awards de Toronto, où je présente une sélection des meilleurs courts-métrages de XConfessions.

Photo © Rocio Lunaire, Erika Lust aux commandes

l'émiliE - 2012-2016