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Polyamour et jalousie constructive

Une femme qui connaît des situations d’adultère, de libertinage puis de polyamour au cours de sa vie affective et sexuelle permet l’étude des modes de communication qui la lient à ses différents partenaires, notamment à son mari. C’est ce qu’analyse le socio-anthropologue Philippe Combessie dans un article qui vient de paraître dans la revue Hermès du CNRS. Le chercheur observe un double mouvement : une articulation de dettes et de contre-dettes au sein du couple, «qui permet d’envisager la jalousie de façon constructive», et un tri social des amant-e-s potentiel-le-s de chacun des conjoints par lequel ces derniers contrôlent les risques de mésalliance.

Philippe Combessie étudie tout d’abord la mécanique de la jalousie affective. Une personne qui trompe son conjoint a meilleur temps de le cacher. S’il est découvert, il devra se justifier et trouver un moyen de se faire pardonner. Dans ce cas, la personne trahie dispose alors d’un atout dans ce jeu de pouvoir : il/elle m’a trompé-e, je le/la trompe à mon tour. Et ainsi s’enclenche le système de dette/contre-dette. Serait-ce œil pour œil, dent pour dent ? Le socio-anthropologue explique que l’injonction d’exclusivité sexuelle imposée aux femmes, valable en particulier pour les jeunes mariées, établit un rapport de pouvoir en leur défaveur. «Dans ce contexte déséquilibré, avec un handicap de départ qui affecte les femmes, la «trahison» que peut ressentir une jeune mariée confrontée à «l’adultère» peut devenir pour elle ultérieurement un argument de négociation lui permettant d’envisager des relations sentimentales hors du huis clos conjugal dans le cadre d’une articulation de dettes et contre-dettes».

Pour exemplifier sa démonstration, Philippe Combessie prend le cas  d’Anne-Sophie et des «hommes de sa vie». Durant cinq ans, son mari la trompe jusqu’à ce qu’il rompe avec sa maîtresse et tente de reconstruire son couple sur de nouvelles bases : communication et ouverture. Ce qui signifie clubs échangistes ensemble, puis polyamour en se disant tout. Pour se faire pardonner, le mari pousse sa femme aux relations extra-conjugales… tout en choisissant ses amants… Jusqu’au jour où Anne-Sophie trouve un «amant de cœur» et où le mari commence à en souffrir. Le rapport de force s’est inversé. Les compteurs sont-ils pour autant remis à zéro ? Pas vraiment, puisque pour compenser, le mari veut reprendre la relation qu’il entretenait avec sa première maîtresse. La balle repasse dans le camp d’Anne-Sophie. Mari et femme doivent désormais gérer leur jalousie.

L’idée reçue que le polyamour offre une infinie liberté et ouvre les espaces relationnels est toutefois tempérée par le fait que, selon le chercheur, les amant-e-s sont choisis dans le même milieu socio-économique et culturel. Les mélanges restent limités sur ce point. Surtout la gestion en termes de communication et de relation devient extrêmement complexe. Quant aux dettes impossibles à inscrire dans cette logique d’échange, elles risquent de déstabiliser tout l’édifice. Dans ces conditions, tout contrôler devient difficile. Le dernier chapitre de l’article intitulé «du «feu liquide» et des risques de l’amour» fait le lien entre ce type de relation amoureuse et sa difficulté à s’inscrire dans un schéma connu et rassurant, la liquidité de la relation étant au cœur du système.

Les femmes hétérosexuelles sont ici sujets d'analyse. Pour changer, a-t-on envie de dire. Quid des hommes, des autres ? L'étude est-elle universelle ? L'autre remarque est l'emploi des termes financiers pour décrire les relations humaines : la société de consommation est partout et la loi du marché y règne semble-t-il...


Amours plurielles et communication. Dettes, contre-dettes et jalousie constructive, de Philippe Combessie, numéro 69 d’Hermès, La Revue, Sexualités.


Photo DR, image tirée du film Hiroshima mon amour, d'Alain Resnais

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