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Rôles de sexe/ Rapports sociaux de sexe

Des rôles de sexe aux rapports sociaux de sexe

 

Entretien avec Martine Chaponnière, vice-présidente de la Fondation Emilie Gourd, au sujet de son article Les rôles de sexe jouent-ils encore un rôle ? paru dans le dernier numéro de Questions au féminin*.

Comment interprétez-vous le passage d’une focalisation sur les rôles de sexe à une centration sur les rapports sociaux de sexe ?

Le plus facile, c’est de commencer par les rôles ; il est effectivement plus facile de théoriser les rôles que de théoriser les rapports sociaux de sexe. Les rapports sociaux de sexe constituent une évolution par rapport à la théorie des rôles qui a été posée dans les années 1950 par Talcott Parsons dans une vision extrêmement rigide et prescriptive. Les féministes des années 1970 ont contesté cette répartition des rôles comme étant un des fondements de l’oppression. La remise en question des rôles dans la famille, l’obligation d’avoir un rôle maternel, d’épouse, ont beaucoup occupé le terrain. Le grand tournant par rapport aux rapports sociaux de sexe renvoie aux travaux de Christine Delphy à travers la théorisation de l’oppression ; le féminisme matérialiste a mis en évidence les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes.

Peut-on penser les rapports sociaux de sexe de façon indissociée des rôles de sexe ? Ne sont-ils pas intriqués ?

Aujourd’hui, je pense que ce n’est plus forcément intriqué notamment à cause du développement de la théorie queer, étant donné qu’elle amène à un éclatement des identités. Dès le moment où il n’y a plus d’identités, il n’y a plus de rôles. Le genre ou la théorie des rapports sociaux de sexe – qui sont la même chose pour moi – aborde la question du pouvoir et d’un système de domination masculine. C’est pour cette raison que ce passage est très important mais si on ne se positionne pas dans la théorie queer, je pense que les deux choses ne peuvent pas être pensées en dissociation l’une de l’autre. Si nous prenons le monde du travail, lorsqu’un employeur engage une jeune femme, il va toujours se poser la question de savoir si elle va avoir un enfant ou non et, dans ce cas, nous sommes au cœur des rôles sociaux. La théorie féministe matérialiste continue d’avancer dans différents domaines, notamment dans le domaine du travail. Mais il me semble que dans le domaine de l’éducation, on stagne un peu au niveau des problématiques.

Comment expliquez-vous cette stagnation ?

Une des raisons pour lesquelles ça bouge plus lentement que le voudraient certaines surtout, c’est notamment parce que les parents ont envie que leur garçon se développe comme un garçon et que leur fille se développe comme une fille. Les parents ont à cœur que les enfants se sentent bien dans leur identité sexuelle et se conforment au sexe qui leur a été assigné. Alors ils entrent dans ce jeu et ils disent tous qu’ils traitent les garçons et les filles de façon égale mais nous savons que ce n’est pas vrai. Il y a donc déjà cette socialisation différenciée des sexes au départ et tout le système participe au renforcement de l’identité de genre.

Ne devrait-on donc pas justement remettre en cause la construction de ces attentes pour travailler à la racine les questions de socialisation ?

C’est très difficile car c’est à l’intérieur de la famille et comme on a mis cinquante ans de féminisme jusqu’à ce que le viol conjugal soit réglé sous prétexte qu’il concernerait des affaires privées qui se passent à l’intérieur de la famille, je pense que ce n’est pas évident de dicter aux parents ce qu’ils doivent faire. Il y a beaucoup de recherches et d’actions auprès de l’Etat, des enseignant-e-s et du personnel des crèches parce qu’il est difficile de toucher les parents.

Selon votre positionnement, quelles sont les perspectives de recherche et d’action à mettre en œuvre ?

Je pense qu’il y a beaucoup de choses faisables au niveau des offices d’orientation professionnelle, de l’école, des crèches, où on retrouve d’ailleurs souvent le coin poupées pour les filles et le coin bricolage pour les garçons. Ce qu’il faudrait, c’est arriver à détypifier les métiers plutôt que les gens, plutôt que « dégenrer » les gens. Dégenrer les gens, je ne pense pas que ce soit une priorité absolue mais ce qu’il faut dégenrer, c’est le monde dans lequel on vit.

*Questions au féminin, édition 2011, Les rôles de genre en mutation.

© Photo Joanna Osbert

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